Prêts verts : un écran de fumée financier au service des pollueurs

by | Jan 21, 2025 | Actualités, Economie, Monde, Politique

Les prêts verts ou durables (SLL) sont devenus un outil de financement incontournable pour les entreprises souhaitant afficher des engagements environnementaux. Mais derrière cette belle vitrine, la réalité est souvent bien moins vertueuse. Loin de réduire les émissions de carbone, ces prêts servent souvent d’alibi aux grands pollueurs pour poursuivre leurs activités nuisibles.

Entre 2018 et 2023, les banques ont injecté 1,5 trillion de dollars dans des SLL, selon des données du London Stock Exchange. Contrairement aux prêts verts classiques, ces financements n’imposent pas aux entreprises d’allouer ces fonds à des initiatives environnementales concrètes. Une enquête du Mississippi Today et du Toronto Star, publiée la semaine dernière, a révélé que plus de 286 milliards de dollars de ces prêts ont été attribués à des entreprises aux activités hautement polluantes, notamment dans les secteurs de l’agriculture intensive, des combustibles fossiles, de l’exploitation minière et du bois. Pire encore, des entreprises comme l’exploitant nord-américain de pipelines, Enbridge ont pu bénéficier de ces prêts tout en poursuivant l’expansion de leurs activités polluantes.

Cette situation contraste fortement avec les efforts de certaines institutions publiques qui tentent de réorienter les fonds vers des projets plus responsables. Plus de 40 pays et institutions publiques ont réduit de deux tiers leur financement public international aux combustibles fossiles au cours des trois dernières années. Dans le cadre du Partenariat pour la Transition énergétique propre (CETP), lancé à la COP 26, les signataires se sont engagés à rediriger leurs investissements des énergies fossiles vers le renouvelable. En 2023, leur financement collectif pour les énergies fossiles a chuté à 5,2 milliards de dollars, bien en dessous des 15 milliards d’avant l’accord.

Cependant alors que le financement public des énergies fossiles décline, le financement privé, lui, reste largement orienté vers des projets polluants. Les banques qui octroient les prêts verts profitent du flou réglementaire pour les comptabiliser comme des contributions à leurs objectifs de finance durable, sans aucune obligation de transparence sur les critères appliqués ou les véritables sanctions en cas de non-respect des engagements climatiques. Parallèlement, les engagements en faveur des énergies propres restent très insuffisants : les engagements du CETP n’ont mené qu’à une augmentation de 16 % des financements pour les énergies renouvelables sur trois ans, atteignant 21 milliards de dollars en 2023. Plus inquiétant encore, ces financements profitent en priorité aux pays riches, excluant presque totalement les nations les plus vulnérables aux changements climatiques. L’Afrique reçoit toujours moins de 2% des financements mondiaux pour le développement des énergies propres, selon la Banque africaine de développement (BAD).

Face à ces dérives, certains régulateurs commencent à réagir. En 2023, la Financial Conduct Authority, un régulateur britannique a mis en garde contre le manque de rigueur des prêts SLL, pointant du doigt « des objectifs peu ambitieux ». Une étude de Moody’s a révélé que seulement 42 % de ces prêts étaient réellement efficaces en matière d’impact environnemental. Pourtant, certaines grandes entreprises comme BP, Shell et ExxonMobil continuent d’utiliser ces prêts pour dissimuler leurs véritables intentions. BP a ainsi réduit son engagement initial dans les énergies renouvelables de 10 à 3,25 milliards de dollars. Shell, quant à lui, après avoir obtenu un prêt SLL de 10 milliards de dollars en 2019 pour diminuer l’intensité de ses émissions, a abandonné plusieurs objectifs climatiques, dont la réduction de sa production pétrolière, en raison de l’incertitude entourant la transition énergétique.

Dans ce contexte, l’urgence d’une régulation stricte des prêts verts devient évidente. L’exemple du CETP montre qu’une transformation financière est possible, mais encore faut-il que cette volonté s’étende au secteur privé. Car tant que des milliards de dollars continueront d’être injectés sans contrôle dans des projets polluants, la finance verte restera un mirage. Il est essentiel d’exiger des engagements concrets et vérifiables de la part des entreprises et des banques. La crise climatique n’attend pas, et la finance ne peut plus se permettre d’acheter du temps au détriment de la planète.

 

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