L’élevage porcin à Maurice représente un enjeu économique de taille, avec une forte affluence touristique de 1,2 million de visiteurs chaque année. Depuis des années, les éleveurs de porcs se battent pour obtenir une reconnaissance et des mesures d’accompagnement de la part des autorités, afin de développer leur secteur d’activité. En tant que destination touristique de premier plan, Maurice continuera de voir une augmentation de la consommation de produits à base de porc dans les années à venir. La population mauricienne, tout comme les touristes, apprécie grandement la viande de porc et les produits de charcuterie. Plus de 80% des étrangers qui visitent notre île paradisiaque en consomment. Avec l’arrivée potentielle de deux millions de visiteurs d’ici 2030, la demande pour la viande de porc sera toujours forte.
Une lutte pour la reconnaissance
Dans le passé, les éleveurs de porcs ont dû faire face à la discrimination et aux préjugés, au point de descendre dans la rue pour manifester leur mécontentement et sensibiliser les autorités. Un cortège de manifestants, mené par les regrettés Mario Flore, Mathieu Laclé et Gérard Tara, a défilé sur la Place d’Armes devant la statue de la Reine Victoria et devant le Parlement, avec leurs cochons parés de cravates et peints en mauve. Le choix de cette couleur n’était pas anodin. À cette époque, Paul Bérenger, leader du MMM, était au pouvoir et ignorait les demandes légitimes des éleveurs. Cette situation explique en partie pourquoi les députés de l’opposition, en particulier du MMM, restent souvent silencieux sur le dossier de l’élevage porcin. Feu Benjamin Moutou, un historien, a préparé un document majeur sur cette question qui mérite d’être actualisé.
Des questions se posent également concernant la fermeture de la coopérative de porcs et de la charcuterie de Bois-Marchand. Cette situation a profondément irrité M. Moutou, qui a également dénoncé l’attitude d’un politicien de l’opposition, alors au pouvoir, qui a laissé ce dossier mourir. Cependant, un excellent travail a été réalisé par Mahen Seeruttun, ancien ministre de l’Agro-Industrie en 2018, qui a annoncé plusieurs mesures suite à la création d’un comité. Bien que certaines mesures aient été mises en place, d’autres restent en suspens, peut-être parce que le ministre actuel, qui a pris la relève après les élections de 2019, doit assumer de nombreuses responsabilités. Il n’est cependant jamais trop tard pour agir.
Un excellent travail de Mahen Seeruttun avait ouvert la voie
Par contre en 2018, l’ancien ministre de l’Agro-Industrie, Mahen Seeruttun avait annoncé plusieurs mesures à la suite de la mise sur pied d’un comité. Certaines mesures ont été appliquées alors que d’autres ne l’ont pas encore été, peut-être parce que le ministre qui a pris le relais de Mahen Seeruttun après les élections de 2019 avait trop de responsabilités à assumer mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Le ministre Mahen Seeruttun a réalisé un excellent travail dans le développement de l’élevage porcin, en annonçant la création d’une salle de découpe de porc à Argy, ainsi qu’une salle similaire à Bambous pour les éleveurs de St-Martin. Des travaux pour l’évacuation des eaux usées ont également été envisagés. À l’époque, le ministère travaillait sur un projet de ferme intégrée dans la région de l’Ouest, avec une approche axée sur l’agriculture biologique, en suivant les recommandations d’un expert béninois. Afin d’améliorer la qualité de leurs produits, Mahen Seeruttun avait déconseillé les éleveurs d’utiliser des restes d’aliments provenant des hôtels et a accordé une subvention pour l’achat d’aliments de qualité. La Mauritius Meat Authority a proposé un plan d’aide pour le transport des animaux vers les abattoirs et les points de vente, en mettant à disposition des véhicules ou en offrant une allocation de transport.
Vers une véritable activité économique
Aujourd’hui, on peut dire que la situation a évolué positivement dans la bonne direction, mais il reste encore beaucoup à faire pour que l’élevage porcin devienne une véritable activité économique, avec un encadrement satisfaisant de la part des autorités. Il est également essentiel de décommunaliser le débat et de cesser de prétendre que l’élevage et la consommation de porc ne concernent qu’une seule communauté, comme cela a été le cas par le passé pour le séga, qui est désormais une fête partagée par tous les Mauriciens, sans distinction. Il est encourageant de noter qu’actuellement l’élevage de porcs attire des entrepreneurs de toutes les communautés et qu’un certain M.Beesonee prospère dans ce secteur sur ses terres privé dans le sud du pays.
Il y a urgence
Plusieurs familles d’éleveurs de porcs traditionnels de la communauté créole se retrouvent dans une situation décourageante en raison du manque d’encadrement des autorités. À Bassin Requin, Poste-de-Flacq, 18 éleveurs de porcs continuent malgré tout leur activité, subissant de nombreux problèmes, tels que des difficultés d’évacuation d’eau et d’excréments, ainsi que des vols de bêtes. Claude David, Président de la Poste-de-Flacq Pig Marketing Cooperative, a alerté les autorités à plusieurs reprises, mais aucune mesure n’a été prise jusqu’à maintenant.
Les éleveurs sont contraints de faire appel à des camions pour nettoyer les fosses, ce qui entraîne des coûts supplémentaires importants. De plus, depuis 2005, ils rencontrent des problèmes d’approvisionnement en eau courante, ce qui rend le nettoyage des enclos difficile et compromet le respect des normes sanitaires. Malgré leurs demandes, aucune salle de découpage n’a été mise en place depuis 2015.
Nous dénonçons aujourd’hui cette situation lors des célébrations marquant les 189 ans de l’abolition de l’esclavage. Devons-nous attendre que les grandes entreprises privées dominent également le secteur de l’élevage porcin, tout comme elles l’ont fait pour le poulet, pour que les autorités réagissent ? Nous avons récemment vu comment Pravind Kumar Jugnauth a pris des mesures énergiques face à l’inaction de certains dans le dossier du déversement de fioul par une filiale d’un puissant conglomérat dans une région défavorisée. Nous savons que nous pouvons lui faire confiance sur cette question importante.
Selon les chiffres de Statistics Mauritius, la production de viande bovine locale a augmenté de 13,6 % en 2022 par rapport à l’année précédente, atteignant 2 071 tonnes. La production de viande bovine issue de l’abattage de bovins importés a également augmenté de 7,5 %. La production de viande caprine et ovine a connu une croissance de 34,1%, passant de 41 tonnes en 2021 à 55 tonnes en 2022. La production de porc a légèrement augmenté de 1,6 %, passant de 574 tonnes en 2021 à 583 tonnes en 2022. La production de volaille a connu la plus forte amélioration, avec une augmentation de 13,4 %, passant de 49 100 tonnes en 2021 à 55 700 tonnes en 2022.
Utiliser les terres de l’industrie sucrière pour l’élevage porcin
Lorsque nous analysons ces chiffres, nous nous demandons pourquoi la production porcine progresse si lentement par rapport à celle des autres espèces, alors que la demande existe et que le potentiel d’exploitation est présent. Nous savons également que la production porcine et la consommation de produits porcins sont très ancrées dans la culture rodriguaise à Rodrigues. De plus, la charcuterie rodriguaise est réputée pour son goût unique. Cette filière connaît une croissance continue, malgré l’épidémie de la fièvre aphteuse, avec une production annuelle estimée à 325 tonnes. L’ouverture prochaine d’un abattoir ne pourra que favoriser cette croissance.
Récemment, 174 éleveurs de porcs se sont vus attribuer des terres à Saint-Martin dans le cadre de deux phases. La phase I comprend 39 éleveurs de porcs occupant des terres agricoles de dix arpents, tandis que la phase II regroupe 135 élevages porcins sur un domaine agricole de 25 arpents. Malheureusement, certains contrats de location ont expiré et doivent être renouvelés après enquête du ministère de tutelle et obtention d’un numéro d’identification de parcelle du ministère du Logement et des Terres. Au total, ces initiatives favorisent le développement de l’élevage porcin à Maurice.
Saint-Martin II comprend 135 élevages porcins sur un domaine agricole d’une superficie de 25 arpents. Suite à l’épidémie de peste porcine africaine en 2007, une décision avait été prise de mettre sur pied Saint-Martin II afin de relocaliser les éleveurs de porcs opérant dans leurs arrière-cours dans les régions d’Albion, Roche-Bois et d’autres zones à proximité de Port-Louis.
De ces 135 éleveurs de porcs, 71 ont de baux valides d’une durée de sept ans. Les contrats de location des 65 éleveurs restants ont expiré et seront renouvelés après enquête du ministère de tutelle et l’obtention d’un numéro d’identification de parcelle du ministère du Logement et des Terres. Les parcelles louées à ces éleveurs varient de 10 à 30 perches.
C’est ce genre d’initiative et de développement que nous souhaitons voir se poursuivre avec encore plus de volonté en ce qu’il s’agit de l’élevage porcin à Maurice. Avec la centralisation de l’industrie sucrière, beaucoup de terres sont disponibles de nos jours notamment à Britannia dans le sud de l’ile et aussi ailleurs mais malheureusement il n’y que la spéculation et le développement foncier qui intéresse certains. Il faut prendre ces terres et ne pas limiter l’élevage et la production porcine sur une base géographique.
Renforcer la sécurité alimentaire
L’autosuffisance alimentaire joue un rôle crucial dans la stratégie de sécurité alimentaire du pays. La pandémie de la Covid-19, l’inflation, le conflit Russie-Ukraine, la dépréciation de la roupie et le réchauffement climatique ont mis en évidence notre vulnérabilité en matière d’autosuffisance alimentaire. Il est donc primordial de soutenir les fermiers et les éleveurs à travers l’île pour augmenter leur production. Dans le dernier Budget, la Banque de Développement (DBM) a consacré 200 millions de roupies à la création de cinq zones d’élevage, tandis que la subvention sur les aliments pour animaux a été augmentée à dix roupies par kilogramme. Il est essentiel de donner une place prioritaire à l’encadrement des éleveurs de porcs et de rétablir la coopérative et la charcuterie de Bois Marchand.
Nous avons eu la pénurie de riz ration et maintenant ce sont les oignons, demain ce sera peut-être encore plus grave si nous ne prenons pas garde.
Renganaden Padayachy, ministre des Finances, du Plan et du Développement économique, a souligné dans le Budget 2022-2023 que ce secteur de l’élevage joue un important rôle dans la stratégie de sécurité alimentaire au regard de la production locale de produits laitiers et de viande.
Dans le dernier Budget, il est indiqué que le gouvernement soutient les fermiers et éleveurs à travers l’île pour qu’ils produisent plus. À cette fin, la Banque de Développement (DBM) consacre Rs 200 millions à la mise en place de cinq zones d’élevage à Henrietta, Salazie, Mare d’Albert, Petit Merlot, et Ex-Tea Belt Road, tandis que la subvention sur les aliments pour animaux est augmentée à dix roupies par kilogramme.
Il faut plus que jamais encadrer les éleveurs de porcs. Ce dossier ne doit plus être divisé entre le ministère des Coopératives et celui de l’Agro-Industrie et doit devenir une priorité du gouvernement.
Nous saluons le fait qu’en 2018 la Banque de Développement avait procédé à l’annulation de la dette de 303 éleveurs pour un montant de Rs.71 millions. Du jamais vu auparavant.
Les chiffres disponibles auprès de Statistics Mauritius font état d’une importation de 52 tonnes de viande de porc ou de produits dérivés en 2017. Le principal pays fournisseur de ces produits est la France, avec 38,7 tonnes. Le marché est donc là. Si notre principal marché touristique mange ce qu’il importe, il y a de quoi réfléchir.
Une stagnation préoccupante et un manque d’expertise
Selon les statistiques de Statistics Mauritius, le pays comptait officiellement 500 éleveurs et un cheptel de 17 000 bêtes en juin 2007. En juin 2006, ces chiffres s’élevaient à 447 éleveurs et 15 088 bêtes. Cependant, ces chiffres excluent les cochons marron et leurs propriétaires. Selon la Mauritius Meat Authority (MMA), entre 900 et 1 000 bêtes sont abattues chaque année et que le volume de viande mise sur le marché par l’abattoir de la MMA se situe entre 650 et 700 tonnes.
S’il n’y pas une régression, il y a bel et bien une stagnation par rapport aux statistiques récentes, faute d’encadrement adéquat. L’autre drame c’est que souvent ceux qui sont en charge des dossiers ne mangent pas ou ne connaissent rien à la question porcine. Il faut corriger cette maldonne.
Mais nous avons confiance que Pravind Kumar Jugnauth, notre Premier ministre, va entendre cet appel que certains de ses ministres ignorent et va apporter les mesures correctives. Déjà il faut réfléchir à rétablir la coopérative et la chacuterie de Bois Marchad.
Réginald Kwamé
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