Interview, Zaid Ameer, observateur politique: « Certains médias pensent pouvoir remplacer les électeurs dans les urnes »

by | Oct 7, 2023 | Actualités, Economie

« Carburants… Le gouvernement de Pravind Jugnauth fait preuve d’une volonté à contrôler l’inflation et à encourager la relance économique » 

« Soyons honnêtes, les taxes sur les carburants existent depuis belle lurette » 

« Nous avons trop de ‘Black Zones’ et des lieux où les accidents sont récurrents » 

Les récents changements dans les prix des carburants, le nombre d’accidents de la route en hausse à Maurice, le secteur automobile et le rôle des médias sont parmi les sujets que nous abordons avec notre invité cette semaine. Zaid Ameer est une personne très informée sur l’actualité et est souvent sollicité pour partager son avis sur des sujets de société. Zaid Ameer est également le président de la Dealers in Imported Vehicles Association (DIVA).

Le Xournal (LX) : Une semaine après avoir annoncé une hausse du prix des carburants, le gouvernement a baissé le prix de l’essence mais augmenté celui du diesel tout en offrant un support financier aux entrepreneurs, les PMEs, etc… Quelle est votre opinion ?

Zaid Ameer (ZA) : Cela ne peut qu’avoir une explication rationnelle. Le gouvernement de Pravind Jugnauth fait preuve d’une volonté à contrôler l’inflation et d’encourager la relance économique et cela en dépit des incertitudes du marché international. En remettant ce dossier au ministre des Finances qui dirige un ministère clé, une solution a été trouvée pour soulager les consommateurs et cette nouvelle formule de remboursement peut-être une bonne chose pour ceux qui ont des difficultés.  

LX : Les prix des carburants ont connu une hausse samedi dernier. Est-ce que cette nouvelle hausse était justifiée selon vous ?

ZA: Cette hausse était inévitable. Elle se justifie par la hausse des prix sur le marché international. C’est une tendance mondiale, que ce soit près de chez nous à l’île de La Réunion ou en Europe, en France, en Angleterre, en Asie, au Japon… Ce qui pose problème chez nous, c’est qu’il y a trop de taxes sur les carburants. C’est cela qui provoque une résistance au sein de la population. Peut-on aujourd’hui envisager de faire sans ces taxes ? Il nous faut alors trouver une alternative qui générera autant de revenus pour continuer le développement du pays. Soyons honnêtes, les taxes sur les carburants existent depuis longtemps, je ne vais pas juger les gouvernements précédents, mais l’histoire retiendra qu’un aspirant dirigeant de ce pays avait introduit la taxe sur les ventes lorsqu’il était au gouvernement.

LX : Pouvait-il en être autrement à un moment où l’Arabie Saoudite a réduit sa production et la Russie a interdit l’exportation de l’or noir ?

 

ZA : Bien sûr que non ! Aujourd’hui, nous sommes obligés d’accepter que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dicte le cours de l’économie mondiale. Tout ce qui se passe suit une loi économique de base, qui est l’offre et la demande. Si l’offre est supérieure à la demande, les prix chutent. Dans le pire des cas, les entreprises ont du mal à réaliser des bénéfices intéressants avec leurs marchandises et services. À l’inverse, une offre insuffisante entraîne une augmentation des prix, et les consommateurs ne peuvent plus se permettre d’acheter le produit souhaité. C’est également le cas avec la pomme d’amour à Maurice, par exemple. Lorsque la production est bonne et qu’il n’y a pas une forte demande, les prix baissent.

 

LX : Vous êtes vous-même concessionnaire de voitures. Quel est l’impact des prix des carburants qui ne sont pas stables ?

ZA : Vous savez, cela impacte moins les consommateurs qui se tournent davantage vers des voitures hybrides, gaz ou électriques. Le secteur des transports et de l’automobile ne devrait pas être inquiété par cette nouvelle hausse. Par exemple, il est un fait que 90% des taxis roulent avec un kit à gaz, très bien dans des garages professionnels et agréés.

LX : Que devrait faire le gouvernement pour résister aux changements sur la scène internationale concernant le prix des carburants à Maurice ?

ZA : Il nous faut continuer à développer nos relations commerciales avec les pays producteurs de pétrole. C’est une très bonne initiative du gouvernement d’avoir envoyé une mission en Iran et on note la présence de nombreuses institutions, dont la State Trading Corporation. Avec l’intégration officielle de l’Iran au BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) le 24 octobre prochain, on ne peut qu’espérer une grande amélioration de la situation économique mondiale. Le gouvernement devra avoir la bonne stratégie et savoir jouer le jeu dans l’intérêt de notre économie. Et là, je ne parle pas uniquement des carburants, mais aussi d’autres produits, comme la farine. L’Iran est l’un des principaux producteurs de farine dans le monde. Donc l’arrivée de l’Iran au BRICS sera bénéfique pour l’économie mondiale et atténuera les effets destructeurs de la guerre entre la Russie et l’Ukraine sur celle-ci.

LX : Navin Ramgoolam dit qu’il enlèvera certaines taxes sur le carburant. Est-il sérieux ou surtout qu’il affirme qu’il vendra de l’essence à Rs 50.50 le litre ? Si on enlève l’excise duty et la TVA comment allons-nous financer le développement routier, infrastructurel et l’Etat providence ?

ZA : C’est pourquoi je m’interroge sur les sources de revenus alternatives. Nous avons tout de même un budget national à respecter. Lorsqu’on est politicien, on peut faire toutes les promesses du monde. Mais sans chiffres pour prouver ce qu’il dit, il est difficile d’avoir confiance en ce type d’annonce. On se souvient de sa promesse “dan 100 zour mo pou sanze ou lavi”… La population sait ce qui s’est passé ensuite.

LX : Nous constatons depuis quelques années une augmentation du nombre d’accidents mortels ou non. Qu’est-ce qui pourrait provoquer cela ?

ZA : Il faut reconnaître que nous avons un problème grave lié principalement à des infrastructures inadéquates. Nous avons trop de “Black Zones” et des endroits où les accidents se produisent régulièrement, et ce problème persiste en raison du conflit entre les organismes responsables de la sécurité routière. Par exemple, nous ne devrions pas avoir d’abribus à un carrefour. Nous avons des techniciens qui décident où placer un passage pour piétons, mais cela devient une opportunité de tuer. Maurice est le seul pays au monde que je connaisse qui a des passages pour piétons sur l’autoroute. Je suis content que les autorités aient pris en compte mes demandes pour créer un passage piéton aérien près du quartier Shell à Roche-Bois, et j’espère qu’elles m’écouteront car j’ai beaucoup de propositions. Les contrôles routiers doivent être plus actifs. Comment expliquer que deux jeunes sortent de Port-Louis à moto pour se rendre à Grand-Baie sans avoir été contrôlés ? Et que ces deux jeunes meurent dans un accident. Les chiffres montrent qu’il y a eu au moins cinq accidents mortels impliquant deux motos de la même marque. Y a-t-il eu un suivi ? Les motos de cette marque ont-elles été soumises à des tests ? Y a-t-il eu des contrôles sur la puissance de leur moteur ? Les contrôles routiers de nuit sont parfois risibles. Il n’y a pas de rigueur, aucune possibilité de vérifier si le véhicule est volé, aucune vérification des coffres… rien. Ceux qui organisent des rallyes illégaux savent quand les contrôles commencent et quand ils se terminent. Comme je l’ai dit, le manque de coordination entre les organismes et le manque de rigueur contribuent à provoquer des accidents…

LX : Pourtant le gouvernement a appliqué certaines lois très dures envers les automobilistes mais cela ne semble pas changer la mentalité des chauffeurs, n’est-ce pas ? 

ZA : “Morisiensine vine kumazenfan kan gagne gatozot faire bon”… “Morisiensine vine kumazenfan kan gagne gatozot faire bon”… pour vous dire que récompenser les bons conducteurs et piétons avec quelque chose de symbolique fonctionnera mieux que de les pénaliser. Par exemple, à chaque fois qu’une personne utilise un passage piéton, elle obtient un jeton, ce qui l’encouragera à l’utiliser davantage. De même, si chaque grande entreprise récompensait les conducteurs qui ont plusieurs années de service sans accident ou amende, cela pourrait servir d’exemple aux jeunes, de même que les compagnies d’assurance. Si un client n’a pas été impliqué dans des incidents, pourquoi ne pas le récompenser pour cela ? Et même les policiers pourraient avoir leur propre compétition de “Safest Accident Free Area” au lieu de fixer un quota de contraventions, cela aiderait nettement la communauté. Et bien sûr, le facteur déterminant reste la vitesse. Si nous sommes pressés sur la route, cela signifie que nous n’avons pas une bonne planification. Il vaut mieux avoir un peu d’avance que de perdre la vie…

LX : Par exemple, un jeune de 12 ans qui conduit une voiture et provoque un accident ? Il y a également le cas où un jeune chauffeur, qui venait de recevoir son permis, a provoqué un accident. Faut-il introduire le permis probatoire ? 

ZA : Je suis pour l’introduction du ‘Probation Licence’ et imposer une limite sur le calibre de moteur autorisées pour un nouveau conducteur.

LX : Que pensez des cas de faux permis de conduire en circulation ?

ZA : Avec l’utilisation des nouvelles technologies, les risques augmentent. Même dans le secteur dans lequel je travaille, nous avons des cas de falsifications. Il est nécessaire d’améliorer d’abord les mesures de sécurité et de veiller à ce que, lors des contrôles routiers, les policiers disposent des moyens technologiques.

LX : Comment se porte le marché de l’automobile à Maurice? 

ZA : Le marché se porte très bien, mais il est regrettable qu’aujourd’hui, entre 13 000 et 14 000 véhicules neufs soient importés chaque année, alors que seulement 8 000 voitures d’occasion sont importées. Nous devons nous battre pour notre survie et trouver une solution pour alléger les restrictions qui nous étouffent. Cela inclut le fait que le consommateur paie le même prix pour l’enregistrement d’une voiture neuve que pour une voiture d’occasion. Autant en acheter une neuve. Mais il faut dire que nous avons eu la chance que la situation économique se rétablisse rapidement après le Covid-19, comparativement à d’autres pays comme le Sri Lanka.

LX : Êtes-vous satisfait des mesures imposées par le gouvernement pour encourager la transition vers les voitures climate friendly?

ZA : En ce qui concerne les voitures hybrides, il faut dire que les résultats sont visibles, mais moins pour les voitures électriques. On ne peut pas prétendre conduire une voiture électrique qui est rechargée en utilisant de l’électricité produite par la combustion du diesel. Quel impact cela a-t-il sur le climat ? Il y a encore beaucoup de questions en suspens concernant les voitures électriques, notamment en ce qui concerne la sécurité de leur batterie, la durée de vie de la batterie et le recyclage après utilisation… Nous verrons les résultats dans environ cinq ans.

LX :C’est précisément le rapprochement entre le MMM et le PTr en 2014 qui vous a fait quitter le parti mauve. Quelle est votre analyse de l’évolution de ce parti depuis lors ?

ZA :  J’ai forgé mes convictions politiques en tant que militant pendant les années de braises. Les vraies valeurs prônées à l’époque par le MMM font que ce parti n’a pas le droit d’être en alliance avec ce que le Parti Travailliste est devenu, et encore moins avec le PMSD de Duval. Aujourd’hui, les valeurs, les principes et les convictions sont sacrifiés au profit du désir d’accéder au pouvoir. Je suis attristé de voir certaines personnes, que je ne citerai pas car je ne suis plus actif en politique, se ranger du côté des travaillistes. Comme le reste de la population, j’attends de voir quelques lignes de leur programme pour savoir si les principes du MMM ont été sacrifiés.

LX :Les medias dits indépendants apparaissent de plus en plus comme des instruments à géométrie variable avec des positions très biaisés. Vos commentaires?

ZA : J’ai un très grand respect pour les médias, mais il est essentiel que leur fonction première, qui est d’informer, soit respectée. Il faut qu’ils gardent leur indépendance. Certains médias cherchent aujourd’hui à remplacer l’électeur dans les urnes et pensent détenir le monopole de la parole et de l’information.

LX : Le mot de la fin…

ZA : Il nous reste beaucoup de travail à faire sur tous les fronts ; économie, sécurité routière, digitalisation du système. Je fais un appel aux gens de bonne volonté de faire des propositions valables dans l’intérêt supérieur du pays au lieu de critiquer sans apporter de solution. 

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