Des voitures de luxes, de fastueux appartements parisiens, la famille Bongo a été épinglée par la justice française pour s’être enrichie avec l’argent public gabonais au moyen d’un système de corruption généralisé. Cousin d’Ali Bongo, Brice Oligui Nguema, nommé “président de la transition” par les putschistes, est lui aussi soupçonné d’enrichissement personnel, selon une organisation anticorruption américaine.
Quatre mois à peine après son accession au pouvoir en octobre 2009, Ali Bongo ne se prive de rien. Le président gabonais s’offre alors 29 voitures de luxe. Rolls Royce, Mercedes Maybach, Bentley… Passée au travers d’une société suisse (SDP), cette commande porte sur un montant avoisinant les 15 millions d’euros.
En 2014, les Observateurs de France 24 ont obtenu les preuves de cet achat qui est venu compléter un parc automobile de plusieurs centaines de fastueux véhicules appartenant à son père Omar Bongo. Le contrat ne stipule pas qui utiliserait ces bolides, ni dans quel contexte. Un ancien employé de la société SDP au Gabon a cependant raconté que le chef de l’État effectuait régulièrement des sorties pour faire de la vitesse au volant de certains de ces bolides, suivi par les véhicules de ses gardes du corps. Ce que d’autres sources locales ont confirmé aux Observateurs.
Protégé par son immunité présidentielle, Ali Bongo, soupçonné de s’être enrichi sur l’argent public gabonais – comme les membres de sa famille poursuivis en France dans l’affaire des biens mal acquis –, a jusqu’à présent échappé à toute poursuite judiciaire durant ses mandats. Mais son éviction provoquée par le coup d’État du 30 août pourrait changer la donne.
Toutefois, Maître William Bourdon, l’avocat de l’ONG Transparency International, partie civile dans l’affaire française des biens mal acquis, en doute. “Quels que soient les soupçons d’enrichissement considérables qui pèsent sur lui, il serait paradoxal que les juges se saisissent de cette perte de pouvoir pour le poursuivre, alors même qu’elle est le fruit d’un coup d’État illégitime”, avance-t-il sur France Inter.
Pourtant, l’affaiblissement du chef de clan peut ouvrir la voie à de nouvelles révélations sur le patrimoine des Bongo, estimée à plusieurs centaines de millions d’euros. Une fortune cachée, que quinze années d’enquête de la justice avaient permis de mettre au grand jour, depuis les premières plaintes déposées en 2007 contre Omar Bongo.
85 millions d’euros acquis frauduleusement
En tout, neuf membres de la grande famille Bongo – enfants et petits-enfants d’Omar Bongo – ont jusqu’ici été mis en examen dans cette affaire des biens mal acquis, accusés en 2022 de recel de détournement de fonds publics, de corruption active et passive et d’abus de biens sociaux.
Omar Bongo, décrit Médiapart dans une enquête, avait “la particularité de construire une kyrielle d’alliances matrimoniales, élargissant toujours plus le cercle familial : il a plusieurs dizaines d’enfants – il en a reconnu une cinquantaine, dont plusieurs qu’il a adoptés”.
Dans l’affaire des biens mal acquis, neuf d’entre eux sont soupçonnés d’avoir hérités d’un patrimoine immobilier estimé à 85 millions d’euros, acquis frauduleusement sur l’argent public gabonais : seize villas niçoises, mais aussi une trentaine d’appartements et d’hôtels particuliers à Paris, dans les quartiers les plus prestigieux de la capitale française.
Cette “fortune immense” provient, selon l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de février 2022, “de l’argent issu de détournements de fonds publics et des sommes considérables provenant du délit de corruption des sociétés pétrolières”, notamment Elf Aquitaine, aujourd’hui TotalEnergies.
Dans cette affaire, la banque française BNP Parisbas a elle aussi été mise en examen dès 2021 pour “blanchiment de corruption et de détournement de fonds publics”. D’après les investigations, “la banque a manqué à ses obligations de vigilance en n’effectuant pas de déclaration de soupçon” entre 2002 et 2009 sur le “fonctionnement atypique du compte d’une entreprise française de décoration intérieure, chargée de dénicher les biens immobiliers pour la famille du président gabonais et de les rénover pour plusieurs millions d’euros.
L’hôtel particulier de 4 754m2 d’Ali Bongo
Si les enquêtes menées par la justice française ont permis de lever le voile, l’étendue de la fortune du clan Bongo reste encore un mystère. Celle-ci est estimée à 460 millions d’euros par le journaliste Fabrice Arfi qui a eu accès à des documents notariaux de la famille après la mort d’Omar Bongo en 2009.
Plus récemment, le 24 août, le Canard enchaîné a épinglé directement Ali Bongo, révélant dans ses colonnes les projets de transformation d’un hôtel particulier de 4 674 m2, acheté 100 millions d’euros en 2010 par le Gabon sur ordre d’Ali Bongo en résidence diplomatique.
La corruption endémique du Gabon et la mauvaise gouvernance de la dynastie Bongo figuraient en tête des discours de l’opposition, menée par Albert Ondo Ossa, durant la campagne présidentielle d’août. Ses demandes seront-elles écoutées par les autorités de transition ?
Brice Oligui Nguema, nommé mercredi “président de la transition” par les putschistes, n’est pas étranger au clan Bongo puisque qu’il est le cousin germain du président déchu. S’il n’est pas cité dans l’affaire des biens mal acquis, le personnage est soupçonné d’enrichissement personnel. Selon l’organisation américaine anticorruption OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project), il aurait acheté en espèces, entre 2015 et 2018, trois propriétés dans la banlieue de Washington, aux États-Unis, pour un montant total supérieur à 1 million de dollars.
La France veille au grain
Le coup d’État mené par des militaires au Gabon, peu après l’annonce des résultats de la présidentielle, est scruté par la France. Alors que le sort d’Ali Bongo reste incertain ce mercredi 30 août 2023, le gouvernement français suit la situation au Gabon avec « la plus grande attention », a dit Élisabeth Borne, qui s’exprimait devant les ambassadrices et ambassadeurs réunis à Paris.
La Première ministre n’a pas fait davantage de commentaires dans son discours d’une demi-heure au cours duquel elle a rendu hommage à l’ambassadeur de France au Niger, autre pays africain où des putschistes sont passés à l’action.
Interrogé mercredi, à l’issue du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a indiqué que « la France condamne le coup d’État militaire en cours au Gabon » et réaffirme son souhait « que le résultat de l’élection puisse être respecté ».
Groupes miniers et pétroliers dévissent en Bourse
Implanté au Gabon, le groupe minier français Eramet a lui annoncé l’arrêt de ses activités sur place. « Suite aux derniers événements en cours », le groupe a « mis à l’arrêt » ses activités au Gabon et « suit » la situation pour « protéger la sécurité de (son) personnel et l’intégrité de (ses) installations », précise un communiqué diffusé mercredi.
Eramet, qui emploie quelque 8 000 personnes dans le pays, majoritairement gabonaises, est présent à travers deux filiales : la compagnie Comilog (la compagnie minière de l’Ogooué) spécialisée dans l’extraction de manganèse, et Setrag (la Société d’exploitation du transgabonais), qui assure l’exploitation ferroviaire de la ligne qui relie la côte atlantique au sud-est du pays riche en minerais à travers la forêt équatoriale du Gabon.
Le cours de l’action Eramet à la Bourse de Paris s’effondrait ce mercredi matin, perdant, en milieu de matinée, 18 %. Les actions TotalEnergies Gabon et Maurel & Prom, opérateur pétrolier lui aussi impliqué au Gabon, ont également dévissé.
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