« Critiqué ici par la politique, nous récoltons d’importantes distinctions sur le plan international »
« Les Seychelles ont seulement 300 000 touristes annuellement… Il faut comparer ce qui est comparable… »
« Avec le projet Sustainable Island Mauritius Project, nous avons accompagné les opérateurs du tourisme à l’écologisation de leurs opérations… »
« J’arrive difficilement à comprendre ‘l’acharnement’ d’une certaine presse sur Roche Bois »
« La couleur de la communauté Kreol doit faire partie intégrante de l’arc-en-ciel qui fait la beauté de notre république »
Dans une interview, accordée à Le Xournal, le directeur du Tourism Authority, Lindsay Morvan commente l’importance du secteur du tourisme, de notre situation par rapport aux Maldives ou Les Seychelles, d’un plan directeur pour dix ans, de la ‘Flag Carrier Airline’, de la main d’œuvre étrangère pour compenser le manque sur le marché local, de son amour pour Roche Bois, de l’avenir politique de la communauté Kreol et son souhait, entre autres.
Propos recueillis par Sanjay BIJLOLL
Au Parlement, mardi dernier, le Leader de l’opposition a critiqué notre performance en termes d’arrivées eu égard à l’ambition d’accueillir 1.4 million de touristes. Que pouvez-vous nous dire ?
Le Leader de l’opposition fait, comme d’habitude, “son travail habituel” de l’opposition, c’est-à-dire, critiquer à n’importe quel prix toute action pouvant démontrer le bon travail du gouvernement. C’était la même situation quand l’année dernière, le ministre du Tourisme avait annoncé 1 million de touristes pour l’année calendaire de 2022. C’était un objectif de motivation pour tous les acteurs du secteur touristique qui ont, d’ailleurs, donné le meilleur d’eux-mêmes pour se rapprocher de cet objectif de 1 million de touristes. On a eu 997,000 touristes, malgré les prévisions négatives d’oiseaux de mauvais augure. Il en est de même pour l’objectif de 1.4 millions !
En votre capacité de directeur de la Tourism Authority, comment se porte notre secteur-clé de l’économie et allons-nous dans la bonne direction ?
Il faut d’abord bien préciser que tous les acteurs du tourisme du public et du privé travaillent ensemble depuis fin 2020, période de la pandémie, pour préparer le pays à une reprise qui s’est finalement avérée beaucoup plus positive que même les opérateurs touristiques eux-mêmes ne s’attendaient pas. Vous n’avez qu’à regarder les résultats financiers annoncés dans les médias avec les commentaires des acteurs concernés. Nous avons tous ensemble, et nous continuons à le faire, travaillé sur le court, moyen et long terme d’un plan de relance, qui a commencé à donner des résultats. Le ministère du Tourisme, avec le support technique et financier de la Banque Mondiale, prépare déjà un plan de dix ans pour le tourisme mauricien, qui englobe aussi Rodrigues qui, v justement depuis janvier 2023, dépasse ses chiffres d’arrivées mensuelles de 2019. Ce plan de dix ans comprend le marketing aussi bien vers nos marchés traditionnels que les nouveaux marchés opportuns, le développement de notre produit touristique avec un accent particulier sur le tourisme “intérieur”, le développement des talents et des capacités des ressources humaines ainsi que l’accent primordial sur le tourisme durable qui comprend aussi l’inclusion de la communauté dans toutes les retombées sociales et économiques de cette industrie.
Comment la Tourism Authority contribue-t-elle aux nouvelles exigences de l’industrie touristique ?
Je voudrais préciser que nous avions déjà commencé à nous préparer au « new normal » qui prévaut depuis l’ouverture générale des frontières bien avant l’accueil des visiteurs postpandémie. Au niveau de la Tourism Authority, avec le projet Sustainable Island Mauritius Project, financé par l’Union Européenne, nous avons accompagné les opérateurs du tourisme à l’écologisation de leurs opérations avant et pendant la pandémie. Cela s’est fait par des sessions de formations, des ateliers de travails, des ateliers de cocréations, de réseautage et le développement des outils afin de mesurer les impacts des critères recommandés par ce projet, qui vise vers le tourisme durable. A ce jour, nous avons accompagné près de 4 000 opérateurs et employés avec des supports variés dans des domaines bien spécifiques, tels que l’hébergement, le tour operating, les bateaux de plaisances, les guides, les artisans, et même, les étudiants du secteur touristique de Maurice et Rodrigues. Ces actions nous ont permis d’être plébiscité par le World Travel Market Africa en 2022 pour le Silver Award dans la catégorie Destinations Building Best Better Post Covid ainsi que le Best Tourism NDC initiative of the Year par African Investor durant la COP27 en Egypte. En plus, nous avons en cette année 2023 aussi reçu les Gold Awards de WTM Africa dans les catégories « Best for Addressing Climate Change » et « Best for Local Sourcing, Craft and Food » respectivement.
D’autre part, la Tourism Authority organise cette année la deuxième édition du Sustainable Tourism Mauritius Awards 2023, qui récompense les individus et entreprises du tourisme qui se sont investis, corps et âmes, dans le but principal de garder notre patrimoine (environnemental, culturel social, économique) pérenne. L’enregistrement des candidats a déjà démarré et la soirée de gala de remise des prix se fera en fin de mai 2023.
Pourquoi ne peut-on pas comparer notre situation à celle des Maldives ou des Seychelles ?
Les Seychelles accueillent environ 300,000 touristes par an. 30% d’augmentation de ce chiffre nous fait 90,000 touristes en plus ! Nous accueillons, en ce moment-ci, presque 100,000 touristes par … mois ! Aux Maldives, les hôtels sont prioritairement des 5 étoiles, qui représentent seulement 25% de notre parc hôtelier à Maurice. En plus, ces deux pays n’ont presque pas fermé leurs frontières durant la pandémie. Les arrivées des croisières à Maurice qui contribuent au nombre d’arrivées touristiques ne se sont reprises qu’en début de cette année 2023 tandis que Maldives et les Seychelles en accueillent régulièrement depuis longtemps déjà. Il faut comparer ce qui est comparable.
Pouvez-vous nous situer l’importance de notre ‘Flag Carrier Airline’ ?
D’abord, il faut saluer le rôle important d’Air Mauritius avant et pendant la pandémie. En effet, la compagnie nationale a grandement contribué aux chiffres records d’arrivées touristiques jusqu’à 2019. Pendant la pandémie, elle nous a permis de rapatrier beaucoup de nos compatriotes bloqués aux quatre coins du monde par la « fermeture générale » des frontières. En plus, elle nous a permis d’avoir accès aux vaccins qui ont permis à notre population de survivre face à la pandémie avec un minimum d’impact. D’autre part, pendant que la majeur partie des compagnies aériennes internationales, affectées par l’impact de la pandémie, ont mis les clés sous paillasson, la restructuration de la compagnie a permis à celle-ci de sauvegarder les emplois ainsi que son rôle de patrimoine de notre république. D’après ce que j’ai pu lire dans les journaux de la part de Jack Bizlall, syndicaliste respectable et respecté, qui représente les employés d’Air Mauritius, le développement de la compagnie est sur la bonne voie.
Le VPM et le ministre du Tourisme, Steve Obeegadoo a parlé d’un plan directeur, qui, dit-il, sera élaboré en collaboration de la Banque Mondiale et de l’International Tourism Organisation. Quel est votre opinion sur ce sujet ?
Comme je l’ai déjà mentionné, le ministre du Tourisme a développé une relation de travail public-privé qui n’a pas seulement permis de mitiger l’impact de la pandémie sur notre industrie touristique et notre situation socio-économique nationale, mais a aussi insufflé un esprit de solidarité pour travailler ensemble vers un meilleur avenir pour le secteur touristique avec des retombées positives pour la population en général. Le projet du plan directeur a bénéficié de l’apport de différentes institutions publiques et privés. C’est un projet d’avant-garde pour le bien-être de notre république.
Peut-on penser à la main d’œuvre étrangère pour compenser le manque sur le marché local ?
C’est un sujet qui est à l’agenda du ministère du Tourisme actuellement dans son plan d’évaluation et de valorisation des talents et des ressources humaines dans l’industrie du tourisme. Il est aussi évident que les conditions de travail et le salaire pratiqué dans ce secteur, particulièrement pour les locaux, demandent à être reconsidéré pour encourager nos jeunes à s’y joindre. Cependant, personnellement, je pense qu’il existe beaucoup d’incompréhensions et de préjugés sur ce sujet. Nous avons déjà des milliers de Mauriciens qui travaillent partout dans le monde dans divers domaines mais surtout beaucoup, dans le domaine touristique. Ils sont évidemment considérés comme de la « main d’œuvre étrangère » dans les pays où ils opèrent ! Ils ont aussi d’autres collègues de nationalités différentes. Donc, il faut une réflexion approfondie sur le sujet.
Samedi dernier, vous avez partagé un message de votre amour pour Roche-Bois, que nous avons d’ailleurs publié…C’était un cri du cœur ou de colère ?
Les deux ! D’abord, j’arrive difficilement à comprendre ‘l’acharnement’ d’une certaine presse sur Roche Bois où j’ai vécu toute mon enfance et adolescence et où j’ai côtoyé solidarité, résilience, effort, persévérance jusqu’à découvrir l’amour de ma vie (je suis marié depuis 40 ans à une fille de Roche Bois comme moi !) ! Bien que les maux, qui existent dans beaucoup d’autres régions de la république, et dans d’autres pays aussi, existent aussi Roche Bois, celui-ci a tendance d’être constamment méprisé. Cela malgré les efforts de beaucoup d’entre nous. Je me rappelle encore d’une interview de feu Juge Robert Ahnee (paix à son âme) dans les années 90, qui se demandait « … je ne renie pas mes origines mais dites-moi, quel lien y-a-t-il entre moi et un docker de Roche Bois ? » Je lui avais répondu que ce lien entre lui et mon défunt père, qui était docker, était justement ces origines qu’il ne reniaient pas. Ensuite avec le Mouvement pour le Progrès de Roche Bois (MPRB) et d’autres associations de Roche Bois et des alentours, nous avons beaucoup travaillé pour justement valoriser et essayer de dissiper ces idées préconçues sur les habitants de Roche Bois. Et je peux dire qu’il y a aussi eu beaucoup de « réussites ». Malheureusement, une certaine presse et certaines personnes veulent toujours nous ensevelir dans ce « marécage boueux » !
Le MPRB célèbre ses trente années d’existence. En tant que son Président, comment analysez-vous le parcours accompli jusqu’ici ?
J’en suis tout à fait fier pour toute l’équipe qui, au prix de beaucoup d’efforts et de persévérance, a grandement contribué à améliorer la vie de centaines d’habitants de la localité et du voisinage de Roche Bois. Nous avons aujourd’hui dans notre équipe des accompagnateurs de personnes qui, durant leur adolescence étaient eux-mêmes des bénéficiaires des programmes du MPRB. Je tiens surtout à remercier ceux qui nous ont fait et nous font toujours confiance en soutenant notre action dans la communauté locale de Roche Bois et des alentours. Nous avons démarré en 1993 par des manifestations contre un garage municipal, le dépotoir, la quarantaine et la prolifération de la drogue dans le quartier. Nous sommes passés ensuite à des actions concrètes de soutien, d’accompagnement et formation pour les enfants, les jeunes ainsi que pour les parents. Aujourd’hui, nous avons un centre opérationnel pendant toute la semaine qui accueille une vingtaine de jeunes de 12-16 ans qui normalement auraient dû être à l’école « mainstream » mais qui, pour des raisons diverses, se sont retrouvés dans la rue. Ils sont encadrés du lundi au vendredi par un groupe d’animatrices et de formateurs à la lecture et écriture, au théâtre, à l’initiation à l’informatique, à la sculpture etc.
D’autre part les après-midis, trois fois par semaine, des animatrices accompagnent une quarantaine d’élèves de l’école Emmanuel Anquetil de Grade 3-6 au Club Lecture et Ecriture. Le centre accueille aussi des dames pour des sessions de zumba ainsi que des adultes pour des cours de base en informatique. Avec le soutien de Livestock Feed Ltd, une douzaine d’habitantes bénéficient actuellement d’un projet de « poules pondeuses » pour encourager leur indépendance économique. Avec le soutien de SBM, nous avons lancé le projet Zenes Konekte pour la motivation des jeunes. Nous organisons régulièrement des rencontres avec les parents. Beaucoup d’initiatives pour le développement socio-économique durable des habitants du quartier et des alentours sont en cours.
Quel est l’avenir politique de la communauté Kreol valeur du jour ?
Je considère que la couleur de la communauté Kreol doit faire partie intégrante de l’arc-en-ciel qui fait la beauté de notre république. Elle doit pouvoir briller avec la même intensité que toutes les autres couleurs de cet arc-en-ciel. Et je constate que depuis le cri du cœur de feu Roger Cerveaux en 1993 vis-à-vis de l’Eglise Catholique, à l’époque, a fait du chemin et a aussi instillé une prise de conscience parmi cette communauté qui a de piédestal à certains politiciens depuis l’indépendance. Comme je suis de nature optimiste, je crois dans l’avenir de la communauté Kreol dans une république de Maurice arc-en-ciel, qui accorde des opportunités égales à tous les citoyens mauriciens.
Le mot de la fin ?
Mon souhait est qu’au-delà des difficultés communes à toutes les populations de tous les pays du monde après ces deux années traumatisantes de pandémie, notre République continue sa reprise pour un développement socio-économique durable au bénéfice de toute la population mauricienne. Et je considère que nous sommes sur la bonne voie.
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