Iran : « Si vous n’arrêtez pas, nous arrêterons vos parents » ou comment Téhéran menace ses ressortissants à l’étranger

by | Jan 14, 2023 | Monde, Politique

Surveillance : Massi Kamari, réfugiée en France depuis 2018, a récemment reçu des menaces du régime iranien pour avoir manifesté

« Ils ont donné un ultimatum à mes parents : si elle n’appelle pas, on vous arrêtera. » Depuis mi-septembre et la mort de Mahsa Amini, une jeune femme décédée après son arrestation par la police des mœurs, l’Iran est secoué par des manifestations. Téhéran qualifie ces mouvements « d’émeutes » et la répression du régime islamique est sanglante. Mais la surveillance des opposants dépasse largement les frontières du pays.

Massi Kamari, 42 ans, est réfugiée en France depuis décembre 2018. Pour cette femme qui travaillait dans le marketing, la pression du régime islamique de Téhéran n’est malheureusement pas qu’un mauvais souvenir. Le week-end du 1er janvier, alors que les Français célébraient la nouvelle année, les parents et la sœur de Massi, toujours installés en Iran « ont reçu de très nombreux appels en numéro masqué leur demandant de se rendre dans un bureau des services de renseignement iranien », raconte-t-elle.

 

Le « levier de la pression familiale »

Sur place, « ils ont donné un ultimatum à mes parents : si elle n’appelle pas, on vous arrêtera. Ils ont tellement fait pression sur moi », soupire Massi Kamari, ajoutant qu’elle a fini par rappeler le numéro que ses parents lui avaient communiqué. « Ce n’est pas surprenant et ça arrive souvent. En Iran, le régime fait régulièrement le lien entre la personne qui pose un problème, selon lui, et sa famille », explique Amélie Chelly, sociologue et spécialiste du monde iranien qui ajoute que le régime n’hésite pas à « activer le levier de la pression familiale ».

Au téléphone, « l’homme m’a dit : c’est la dernière menace, si vous n’arrêtez pas, nous arrêterons vos parents et les enverrons à la prison d’Evin à la fin de la semaine », relate Massi Kamari, enregistrement de l’appel à l’appui. La perspective de voir ses proches enfermés dans la prison d’Evin, connue pour détenir des prisonniers politiques, fait frémir maints Iraniens. « On ne sait pas exactement ce qu’il se passe dans la prison d’Evin mais, en général, on y enferme plus de gens pour des raisons politiques que pour des infractions de droit commun. C’est une menace qui est assez régulièrement brandie en Iran et, malheureusement, aussi souvent mise à exécution », détaille Amélie Chelly.

 

« La torture blanche »

Cet « appareil de répression du régime » est régulièrement pointé du doigt par les organisations non gouvernementales (ONG) qui défendent les droits humains. En 2021, après avoir diffusé des vidéos d’abus dans la prison d’Evin, Heba Morayef, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International a affirmé qu’il ne s’agissait que de « la partie visible de l’iceberg de l’épidémie de torture en Iran ». Certains prisonniers sont dans un isolement complet. « Dans la prison d’Evin, ils ont recours à la “shekandje sefid”, la torture blanche, un peu comme dans Le joueur d’échecs de Stefan Zweig, on vous enferme dans une pièce toute blanche. Votre esprit n’a rien à digérer et fini par se digérer lui-même », rapporte la sociologue Amélie Chelly.

« J’ai vraiment peur pour mes parents », souffle Massi Kamari qui ajoute qu’il n’y a « pas de droits humains en Iran » et que le régime est « sans pitié » avec ses opposants. La quadragénaire est accusée par Téhéran d’avoir participé, en France, à des manifestations pour une transition démocratique en Iran. Elle est aussi militante chez HamAva, une « coalition nationale pour un Iran démocratique et laïque ». « Ils ont même montré à mes parents des photographies de moi dans des manifestations en France », témoigne-t-elle.

 

« Cellules dormantes » et hacking

« C’est assez commun comme stratégie », réagit Amélie Chelly. « Dès sa naissance, la République islamique – et plus encore avec la guerre Iran-Irak – a posté des cellules dormantes et des agents à l’extérieur » et ce, en particulier dans les pays qui accueillent une forte diaspora iranienne. Même réfugiés à l’étranger, « les Iraniens sont extrêmement méfiants parce qu’ils savent très bien qu’il y a des personnes à qui ils parlent qui les surveillent », ajoute la spécialiste de l’Iran. Pour établir un contrôle sur sa population, le pays du Moyen-Orient s’est échiné à établir un contrôle presque total sur Internet à l’intérieur de ses frontières.

YouTube, Twitter, Netflix, TikTok, etc. Dès 2006, les autorités iraniennes étaient accusées de censurer plus de sites que tout autre pays, à l’exception de la Chine. « Ils ont tout misé sur l’informatique, d’abord pour contourner les sanctions mais aussi pour rassembler des informations sur les militants et mieux les contrôler », décrypte Amélie Chelly. Pas surprenant dès lors que les services de renseignement iraniens aient obtenu des photographies de manifestations en France. « Il est possible que ces images aient été hackées ou que des personnes en France soient chargées de prendre ces photographies », résume la sociologue.

 

« Ils voudront faire de moi une sorte d’agent »

Massi Kamari a refusé de se plier aux exigences de la voix qui l’a menacée au téléphone. « Je leur ai dit que je n’arrêterai pas, peu importent leurs menaces. J’ai la liberté d’expression et de manifestation ici. Je vis selon la loi française et ne fais rien contre les lois du pays. Je peux faire ce que je veux ici », lance la quadragénaire avec force. Elle a cependant coupé tout contact avec ses parents après cet appel qui s’est déroulé mardi, dans l’espoir de les protéger. « Je ne sais vraiment pas ce qui va leur arriver », soupire-t-elle, expliquant que les autorités leur ont affirmé qu’ils n’avaient plus le droit de quitter le pays. « Mais je ne peux pas accepter tout ce qu’ils demandent. Si je le fais, ils voudront autre chose de moi, ils m’en demanderont plus et voudront faire de moi une sorte d’agent », explique-t-elle.

« Parfois, certaines personnes sont retournées et se mettent elles-mêmes à espionner », confirme Amélie Chelly. Et « parfois, c’est plus radical. En Turquie [où la diaspora iranienne est particulièrement présente], il y a beaucoup d’assassinats en pleine rue d’Iraniens qui commandent des chaînes télé d’opposition ».

De l’assassinat au recrutement d’étudiants brillants, l’éventail de méthodes de Téhéran pour contrôler sa population est grand. « Ils dépensent beaucoup d’argent, d’énergie et de temps pour faire taire tout le monde, même à l’extérieur du pays. Ils ont vraiment peur. Ils sont acculés », juge Massi Kamari qui ajoute avec espoir : « J’espère que cette fois ce sera la révolution. »

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