Frances Haugen, lanceuse d’alerte Facebook, à l’Assemblée nationale française : «Quand des gens tiraient la sonnette d’alarme, ils étaient virés»

by | Nov 11, 2021 | Actualités, Faits Divers

Ce mercredi, la lanceuse d’alerte américaine a poursuivi sa tournée européenne à l’Assemblée nationale avant de partir pour le Sénat. L’occasion pour les députés de l’interroger sur la stratégie à adopter pour réguler les réseaux sociaux et, aussi, renforcer la sécurité des lanceurs d’alerte.

Dans ses mains, Frances Haugen agite une feuille A4 recouverte de notes. Après le Sénat américain, le parlement britannique ou le Parlement européen, cette lanceuse d’alerte en croisade contre Facebook n’en est pas à sa première audition. Pourtant, elle s’étonne : «Je n’ai jamais pris autant de notes !» De quoi amuser Roland Lescure, le président (LREM) de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, qui réplique : «Bienvenue en France !

Ils étaient une vingtaine de députés curieux à se lever tôt, ce mercredi matin, pour participer à l’audition de l’Américaine à l’Assemblée nationale. Pendant plus d’une heure et demie, ces membres de la commission des Affaires économiques et de la commission des Lois ont déroulé un parchemin de questions. Du «bon» modèle économique à adopter par les réseaux sociaux (Cédric Villani, EELV), à la perte éventuelle de contrôle qu’aurait Facebook sur sa machine (David Corceiro, Modem) en passant par la sécurité des plus jeunes utilisateurs (Dino Cinieri, LR), aucune thématique n’est épargnée.

Et l’avalanche d’interrogations est pour le moins proportionnelle au séisme provoqué par la lanceuse d’alerte. Ancienne ingénieure de Facebook, Frances Haugen révèle au monde son identité début octobre et accuse : la firme de Menlo Park nuirait à la santé mentale des adolescents, elle mettrait la démocratie en danger, privilégierait les contenus polarisant davantage générateurs de clics… et de dollars. Et pour le prouver, elle a pris le soin, en quittant l’entreprise, d’emporter avec elle des milliers de pages de documents internes l’attestant.

«La roue grinçante du carrosse»

Devant les députés français, elle martèle : «Facebook fait toujours passer ses intérêts financiers avant la sécurité» de ses utilisateurs. Comme à chacune de ses auditions, son ton est implacable. Ses mains accompagnent le fil logique de son discours rôdé. Son regard, lui, balaie la salle sans vaciller.

Pour la plupart des dangers évoqués, la lanceuse d’alerte insiste : Facebook était au courant. Pourtant, sur les plus de 40 000 employés de la firme, elle est la seule à avoir donné l’alerte. Mounir Mahjoubi (LREM) sourcille : qu’en est-il «de tous ceux [les employés] qui restent et ne témoignent pas» ? La réponse est franche : à Facebook, «quand des gens tiraient la sonnette d’alarme, ils étaient virés», relate cette diplômée de Harvard. Alors plutôt que de continuer à «n’être que la roue grinçante du carrosse», quitte à prendre le risque d’être à son tour licenciée, l’ex-ingénieure s’est dit qu’ «il fallait aller plus loin». Désormais à plus de 8 000 km de la Californie, c’est chose faite.

Même le métavers, ce monde entièrement virtuel dans lequel il serait possible de travailler, voir des amis ou faire son shopping, s’invite dans la discussion. Cette nouvelle lubie de Mark Zuckerberg serait, selon ce dernier, «l’avenir de l’internet mobile» et le futur de son entreprise, qu’il a d’ailleurs rebaptisée Meta. Rien qu’en Europe, 10 000 embauches ont été annoncées pour le créer. Un rêve pour le milliardaire, un cauchemar pour la lanceuse d’alerte. «Le métavers est une question très préoccupante», tranche-t-elle. Ses inquiétudes ? Que cette nouvelle invention permette à Facebook de «rassembler des tonnes de nouvelles données sur vous» par le biais de «capteurs» ou de «micros» installés dans l’environnement de l’utilisateur.

Moins 250 000 dollars

«The floor is yours» – «La parole est à vous» – lui lance Roland Lescure, à chaque reprise de parole. Une question en particulier taraude les élus. Olivier Falorni (PRG), certainement inspiré par la une du Libé de lundi, prend plaisir à la formuler : «Comment nous y prendre pour réguler son compte à Facebook ?» Rendre l’algorithme plus transparent, faire en sorte que les entreprises «rendent des comptes», forcer Facebook à «embrasser la diversité linguistique» mondiale afin d’améliorer sa modération… Les propositions de Frances Haugen abondent.

Comme au cours de son passage devant à Bruxelles lundi, l’ex-ingénieure salue ainsi un texte de loi examiné par le Parlement européen : le Digital Services Act (DSA). S’il est adopté, ce dernier contraindrait les «très grandes plateformes» à prévenir les risques de manipulation de leur outil, d’atteintes aux droits de leurs utilisateurs, de diffusion de contenus illégaux… Sur ce dernier point, Frances Haugen incite toutefois les députés à également se concentrer sur les contenus «toxiques», non nécessairement illégaux comme, par exemple, les publicités de produits minceur atterrissant dans les publications d’adolescentes.

Deuxième point au cœur des préoccupation des députés : le régime des lanceurs d’alerte. Une proposition de loi permettant de renforcer la sécurité de ces derniers doit justement être examinée à partir de ce mercredi. L’audition de Frances Haugen est aussi l’occasion de la questionner sur le statut américain de lanceuse d’alerte. En France, la loi Sapin 2 mise en place en 2016, le définit. Toutefois, cela «reste insuffisant», regrette Yaël Braun-Pivet, présidente (LREM) de la commission des Lois.

Une loi pour mieux défendre les lanceurs d’alerte

D’abord, parce que le texte indique qu’avant d’être publiquement lancée, une alerte doit être donnée en interne, auprès d’un supérieur par exemple. Ensuite, parce que les sanctions mises en place en cas de représailles – à savoir une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende – ne seraient pas assez dissuasives. Enfin, parce que la loi impose à un lanceur d’alerte d’opérer de «façon désintéressée». Résultat : beaucoup rencontrent des difficultés financières à la suite de leurs révélations.

Sur ce point, les Etats-Unis fonctionnent différemment puisque des (très belles) primes ont parfois été reversées pour compenser. A plusieurs reprises, Yaël Braun-Pivet interroge donc : «Est-ce que vous avez été rémunérée dans le cadre de l’alerte que vous avez lancée ?» Les deux mains encore emportées par son discours et sa feuille A4 noircie, Frances Haugen répond par la négative : «J’ai d’ailleurs un solde négatif d’un quart de million de dollars.» Le chemin parcouru ? Elle l’a financé grâce aux dons comme, selon Politico, ceux du milliardaire fondateur d’eBay, Pierre Omidyar. Et, aussi, grâce à des investissements bien placés dans les cryptomonnaies. Auprès du New York Times, elle rassure ainsi : «Pour un avenir proche, tout va bien».

A la suite de la parution de l’article, Libération a reçu un message d’un porte-parole de Meta souhaitant réagir : «Nous avons toujours eu un intérêt économique à retirer les contenus nuisibles de nos plateformes. Les utilisateurs ne souhaitent pas les voir, tout comme les annonceurs ne souhaitent pas voir leur publicité les côtoyer.» L’entreprise explique ainsi avoir dépensé plus de 5 milliards de dollars en 2021 pour «protéger [ses] utilisateurs». Elle rappelle demander «depuis plusieurs années maintenant une réglementation pour l’ensemble de l’industrie». En saluant le Digital Services Act, Meta souligne enfin que : «Les décideurs européens montrent la voie en contribuant à intégrer les valeurs européennes telles que la liberté d’expression, la vie privée, la transparence et les droits des individus dans le fonctionnement quotidien d’internet.»

 

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