Dharmanand Dhooharika : « Le métier du journaliste est à risque car nous sommes les serviteurs de la nation » disait-il
C’est avec peine que nous avons appris que l’ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire Samedi-Plus, Dharmanand Dhooharika s’est éteint. ‘Mamou’ pour les intimes a eu un long parcours dans la presse mauricienne.
Pour ceux qui ont côtoyé Dharmanand Dhooharika, ils le connaissaient comme un combattant des ” injustices” de l’ancien régime. On l’a surtout connu quand il est venu travailler chez Le Défi-Plus dans les années de gloire de cette publication vers 1998 et 1999.
Dharmanand Dhooharika, rappelons-le, s’est joint à la presse en passant par la politique active. Il a été très actif au sein du Mouvement Militant Mauricien de Paul Bérenger. Soldat lalit militant, il vendait le journal militant à la criée à Goodlands. Un titre défavorable au leader du PMSD d’alors, sir Gaëtan Duval, devait lui causer bien des ennuis. À partir de là, il va abandonner la politique active pour se joindre au Mauricien et travailler sous la férule de Sydney Selvon qui deviendra vite son “mentor”. Il quittera Le Mauricien pour prêter main-forte à Sydney Selvon quand celui-ci lancera Maurice Soir. Par la suite, Dharmanand Dhooharika travaillera au Nation, Le Quotidien, à Mauritius Today, au Défi Plus, à L’Hebdo, Samedi Plus, Impact News et a collaboré à divers autres titres de presse. Il était un journaliste à l’ancienne, qui écrivait « sur des feuilles de papier ». Même si chez Samedi-Plus, il s’était mis à utiliser l’ordinateur.
Mamou était un fonceur
Chaque journaliste lui doit aujourd’hui une vive reconnaissance pour leurs libertés d’expression. Sur Facebook, Danielle Olivier-Sénèque reconnaît : « Un grand défenseur de la liberté de la presse nous a quittés ». Tandis que Zaïd Ameer évoque « un vrai journaliste est parti mais il laisse ses empreintes »
Dharmanand Dhooharika avait été reconnu coupable d’outrage à la cour, suivant une série d’articles publiés le 14 août 2010 dans l’hebdomadaire Samedi Plus, dont il était le rédacteur en chef, contre le Chef Juge d’alors Bernard Sik Yuen. Condamné à trois mois de prison pour le délit de « scandalising the judiciairy », il devait obtenir une vague de soutien internationale notamment du Committee to Protect Journalist. On n’oubliera jamais l’attitude de certains lors de l’énoncé de ce jugement. Les avocats n’avaient pas eu le droit ou le temps de dire qu’ils feraient appel de la décision dans une atmosphère apocalyptique. Une fois dans l’enceinte de la Cour Suprême Dharmanand Dhooharika tomba malade et a dû être évacué vers la Clinique Apollo. Une décision qui n’avait pas plu à certains dans le judiciaire. Les avoués avaient défilé les uns après les autres pour ne pas attirer les foudres de la direction du judiciaire alors que les grounds of appeal étaient déjà prêts. Certains osent pourtant, aujourd’hui, parler de démocratie et de liberté d’expression. Quelques jours plus tard, Mamou fut transféré vers la prison centrale comme un vulgaire criminel. Il passera 14 jours en prison, avant d’être libéré après avoir fait appel du jugement de la Cour suprême.
Vague de soutien après son arrestation
Ce qui avait amené Paul Bérenger à dire à l’époque qu’il était “bouleversé” de l’état dans lequel Dharmanand Dhooharika sortira de ce qu’il qualifie “d’enfer” que constitue la prison de Beau-Bassin. Il dit aussi noter que dans cette affaire de Justice impliquant un journaliste, “l’image de Maurice a pris un coup”. Il rappelle, à ce propos, que Reporters Sans Frontières (RSF) a émis un communiqué et que plusieurs articles traitant du sujet ont paru dans la presse internationale.
Effectivement dans un communiqué émis dans la soirée du vendredi 21 septembre 2012, RSF estime que « la liberté de la presse à Maurice connaît un grave revers après l’annonce, le 17 octobre 2011, de la condamnation d’un journaliste à trois mois de prison et d’amendes lourdes contre deux médias dans une affaire d’outrage au corps judiciaire ».
RSF estime ainsi que « ce procès met à nouveau en lumière la fragilité de la situation actuelle, qui tend à un verrouillage des médias sur certains sujets politiquement sensibles ». « Nous regrettons profondément la décision des juges Keshoe Parsad Matadeen et Asraf Caunhye, et appelons à la libération du journaliste mais également à la clémence dans le cadre des appels en cours », lance l’ONG.
Outre RSF, une deuxième ONG, celle-là américaine, le Commitee to Protect Journalists (CPJ) avait déploré la façon de faire de la Cour suprême. Basée à New-York, aux Etats-Unis, et créée par des correspondants étrangers américains dans le but de dénoncer les gouvernements totalitaires et autres ennemis de la liberté de la presse, Le CPJ déplore la sentence prononcée par le juge Keshoe Parsad Matadeen, contre Dharmanand Dhooharika et les amendes infligées à la directrice de Samedi-Plus, Poovanen Chetty, et à Radio-Plus dans le même procès.
“We condemn the imprisonment of Dharmanand Dooharika and the fines imposed on Samedi Plus and Radio Plus, which are not about the administration of justice but about shielding the Supreme Court from criticism,” said CPJ Africa Advocacy Coordinator Mohamed Keita.
En prison…
Heureusement, le Commissaire de Prisons, Jean Bruneau était allé le voir pour lui dire que «votre place n’est pas ici » et de faire une demande de transfert pour la prison de Richelieu. Entretemps, Koomaren Chetty, le patron de Samedi Plus avait retenu les services de Me Gavin Glover SC et Narendra Appa Jala SA pour représenter Dhooharika pour obtenir un « leave to appeal to the Privy Council ». Le Directeur des Poursuites Publiques, Me Satyajit Boolell devait au bout de quelques temps, ordonner la libération de Mamou. C’est dans un van que nous sommes partis le chercher à Richelieu. Il y avait Rudy Veeramundar, Koomaren Chetty et Jimmy Jean-Louis entre autres. Tandis que Deven Anacootee couvrait l’évènement pour Radio-Plus. Malgré son courage légendaire pour affronter l’adversité, il a fondu en larmes à sa sortie de prison.
Me Poonum Sookun Teeluckdharry qui formait parti de son panel de légistes s’était elle aussi rendue à Richelieu pour récupérer ses effets personnels. Cette histoire a eu raison de sa santé, il a été victime d’un anévrisme. Mais en grand bosseur, Dharmanand Dhooharika est retourné le lendemain même au bureau par autobus, comme il le faisait toujours. Il devait alors rédiger une série d’article connu comme « My prisonner’s diary ». Il ne craignait pas les procès et n’hésitait pas à remettre certains dirigeants politiques dont Navin Ramgoolam à leurs places en coupant leurs belles envolées.
Tous doivent reconnaître que c’est grâce à son courage et sa détermination que Le Défi-Plus a fait alors un « quantum leap » dans ses ventes. Comme toujours, Mamou ne s’était soucié de lui-même dans sa mission. On se rappelle le dossier spécial qu’il avait réalisé en Suisse dans l’affaire Stauffer bien avant l’arrivée des radios privées.
Mr Dhooharika did not receive a fair trial
Puis survint cette conférence internationale sur le thème : « The Media, where do we draw the line ? » Boycotté par Navin Ramgoolam et ses ministres qui ont fait toutes les misères du monde à Shakun Jugmohun parcequ’elle avait invité le président de la République d’alors, feu Sir Anerood Jugnauth.
Yatin Varma, Attorney General d’alors, devenu depuis président du Conseil de l’Ordre des avocats a publiquement regretté, des années plus tard, son geste durant cette conférence tenue à l’hôtel Intercontinental. Grâce à l’intervention de Shakun Jugmohun, son défunt frère Kishore Goojha de Carrington Associates (qui a quitté ce monde depuis trois ans), Jimmy Jean-Louis et Koomaren Chetty, Me Geoffrey Robertson, Queen’s Counsel accepta de représenter Mamou au Privy Council. La décision fut prise autour d’un dîner au restaurant Le Capitaine en présence de plusieurs juges et légistes de réputation mondiale. Ce jour-là, Balkrishna Kaunhye et Jimmy Jean-Louis étaient les seuls représentants de la presse locale invités ce soir-là. Tandis que la Commonwealth Lawyers Association s’était portée partie dans cette affaire devant le Privy Council et représenté par Me James Guthrie QC. Au procès, les avocats Ravi Rutnah et Roshi Badhain avaient représenté Mamou aux côtés des éminents avocats britanniques comme ils l’avaient fait à Maurice.
Si Samedi Plus, une petite publication, a eu le courage de faire appel, tel n’a pas été le cas pour Radio-Plus, un mastodonte des médias, qui bien que disposant d’important moyens financiers et logistiques plus conséquent a préféré payer l’amende de Rs 200 000, sans doute pour une raison économique, que de faire appel contre le jugement.
Décision sans appel du Privy Council
La victoire fut sans appel. Dans leur « landmark jugement », les Law Lords Brian Francis Kerr, Anthony Peter Clarke, Nicholas Allan Roy Wilson, Patrick Stewart Hodge et Lady Brenda Marjorie Hale se sont montrés critiques envers le délit de « scandalising the court ». Faisant remarquer que ce délit avait été aboli en Angleterre et au pays de Galles.
De plus, les Law Lords ont soutenu que Dharmanand Dhooharika n’avait pas obtenu de procès équitable et qu’il n’avait pas agi de mauvaise foi. Pour eux, il aurait dû avoir l’opportunité de témoigner en cour, avant que sa sentence ne soit prononcée. Or, ce droit lui avait été refusé.
Voici ce que dit le Privy Council en résumé de l’affaire :
“Mr Dhooharika did not receive a fair trial. The alleged contemnor is always entitled to a fair trial and, depending upon the circumstances, he will almost certainly be entitled to call oral evidence on his behalf, including his own evidence. In the instant case, Mr Dhooharika was, as a matter of practical fact, deprived of his right to give evidence on his own behalf. He should have been permitted to give evidence.
Mr Dhooharika was not properly convicted of the offence.
The Board does not agree that he was acting in bad faith. The various articles and their presentation, taken as a whole, were not intended to convey the message that the allegations of Mr Hurnam were justified and that the Chief Justice should resign and appear before a tribunal. Rather, the thrust of them was that the allegations should be investigated and that the Chief Justice should put his position before the tribunal. The editorial expressly conceded that the paper was not equipped to judge a Chief Justice.
Although the comments were plainly ill-judged, the Board does not think that they prove bad faith on the part of Mr Dhooharika. It follows that the appeal against conviction must be allowed.
In light of the conclusions above, the appeal on sentence does not arise. However, the Board would have allowed the appeal against sentence on the simple ground that Mr Dhooharika should have been afforded an opportunity to make submissions in mitigation before a conclusion as to the correct sentence was reached.”
Mais Dharmanand Dhooharika, n’a pas pu savourer comme il se doit cette victoire. Durant le procès, il est tombé gravement malade après avoir été victime d’un anévrisme. Il n’a pas obtenu de compensation financière pour son combat. Il est décédé ce jeudi 18 novembre 2021. Âgé de 65 ans, cet ex-journaliste du Défi Media Group était alité depuis août 2020 après avoir été victime de sa troisième crise cardiaque.
Son benjamin Rahul se remémore affectueusement de lui, évoquant un grand bosseur et « un guide de par son éducation, lui qui s’est toujours occupé de sa famille ». Mamou avait choisi ce prénom par admiration pour Raoul Rivet. Dharmanand Dooharika était marié à Renuka. Celle qui a toujours était à ses côtés dans les bons et les mauvais moments. Renuka garde de lui l’image d’un compagnon qui avait plein d’anecdotes et d’un père qui se souciait de l’avenir de ses quatre enfants, Avinash, Rahul, Melody et Ashwini.
Ses funérailles ont eu lieu ce vendredi 19 novembre à 11 heures. Le convoi mortuaire est sorti de sa résidence à Arya Mandir Road, Goodlands. Le Xournal présente ses plus vives sympathies à sa famille.
La rédaction.
Hors texte-1
Dharmanand Dhooharika avait prévenu Ramgoolam de sa chute !
On sait tous que Mamou ne portait pas Navin Ramgoolam dans son cœur et c’était réciproque. Dans un éditorial, après les résultats des municipales de 2012, Dharmanand Dhooharika a affirmé : « Gare à votre chute ! ». Cela malgré ses insultes à son égard lors des conférences de presse.
Pourtant, il disait : « La presse ne peut être totalement indépendante quand la gestion des affaires publiques va de mal en pire. Le Premier ministre actuel ou un nouveau Premier ministre, ils sont tous des locataires. Mais il est sans doute malheureux que dans n’importe quelle démocratie bat ardée, certaines personnalités politiques se considèrent être immortelles et très puissantes.
Pourtant ils doivent tous répondre pour leurs actes, soit devant le peuple ou Dieu. Ce n’est pas à nous de rappeler à l’ordre un Premier ministre qui se sent être le Dieu d’une population qui souffre quotidiennement et qui vit dans les misères. L’heure de comptes à rebours viendra certainement. Les échéances électorales viennent et partent mais il incombe à ceux qui nous gouvernent de savoir l’adage « Gouverner c’est prévoir ».
Dharmanand Dhooharika disait aussi : «Le Premier ministre peut payer le luxe d’avoir une demi-douzaine de chiens loups et peut l’offrir chaque jour des kilos de la viande. Il possède des voitures sportives valant des millions pour toutes ses promenades nocturnes mais, nous les journalistes nous battons le pavé pour la collecte des nouvelles. Le métier du journaliste est à risque car nous sommes les serviteurs de la nation. Et notre profession exige que nous ayons le droit légitime à interpeller tous ceux qui nous gouvernent. Les journalistes que nous sommes, il est notre devoir de faire écho des souffrances de la population ou de la distribution des macaronis aux habitants des quartiers pauvres à Cité Atlee ou ailleurs et cela pendant une campagne électorale et cela en vue d’obtenir un peu de votes. Quelle ironie de la bonne gouvernance quant à l’Est du pays il y a une pénurie d’eau et que les ménagères souffrent d’un manque d’eau potable. »
Et de conclure : « Le Premier ministre a des larges marges de manœuvres pour s’assurer que des pauvres ne crèvent pas de faim. Du bâtiment de Trésor au marché central, il y à peine cinq minutes de marche pour n’importe quel Premier ministre d’y aller pour constater de visu combien les prix flambent et comprendre les misères de tous ce qui bossent nuits et jours pour obtenir un maigre salaire.
Mais lui, il s’intéresse à sa victoire fantasmagorique. Il ne s’est jamais rendu au bazar central de peur qu’il risque d’attirer les foudres des membres du public…Dans tout le processus décisionnel de l’action publique un Premier ministre doit répondre pourquoi le peuple souffre de la cherté de la vie et pourquoi ses ministres dilapident des fonds publics à travers des voyages inutiles. On ne peut jamais avoir des réformes structurelles pour la démocratisation de l’économie ou la démocratisation d’électricité que nous continuons toujours à payer cher. Lors de la dernière conférence de presse, l’arrogance puait. On ne peut ignorer que toute sa politique ainsi que l’image qu’il se donne de lui-même durant les dix dernières années de son mandat, Navin Ramgoolam et son équipe gouvernementale se préparent pour une réélection en 2015. Est-ce ainsi qu’on va finalement assurer l’avenir de toute une population. My foot ! »
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