Le droit au sexe dans le mariage est-il une obligation ?…

by | Apr 5, 2021 | Monde, Société

Une décision de justice prononçant un divorce aux torts exclusifs de la femme ayant refusé des relations sexuelles pendant plusieurs années soulève l’émoi.
Le juge doit-il regarder sous la couette du lit conjugal pour savoir si le contrat de mariage est honoré ? La cour d’appel de Versailles a répondu oui, dans une décision révélée le 17 mars par Mediapart et qui a provoqué un certain émoi.
Les magistrats ont prononcé un divorce aux torts exclusifs de la femme, parce qu’elle refusait tout rapport sexuel avec son mari depuis près de huit ans. Ce refus constitue « une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage, rendant intolérable le maintien de la vie commune », lit-on dans l’arrêt.
Cette décision peut paraître anachronique. D’un côté, la chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît depuis 1992 qu’une relation sexuelle forcée entre mari et femme est susceptible de constituer un viol. De l’autre, la chambre civile de la même Cour juge le refus opposé à une telle relation comme une faute.
Les juristes sont divisés sur cette contradiction qui, malgré les apparences, soulève plus des questions sociétales que juridiques. Pour Lilia Mhissen, qui a repris la défense de la femme et déposé un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), « l’absence de relations intimes après trente ans de mariage ne doit pas être en soi un motif qui rend la vie commune impossible ». Pour l’avocate, « le mariage ne peut pas être un asservissement sexuel ». Elle s’appuie notamment sur l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ».
« Où met-on le curseur ? »
Rien n’est écrit dans le code civil sur une quelconque obligation de relations sexuelles entre époux. Mais le mariage est dans la tradition judéo-chrétienne le préalable à la procréation, qui elle-même est alors un devoir. « A la Révolution, les rédacteurs du code civil étaient rétifs à cette idée de consommation du mariage issue du droit canonique. Dans les textes, ils ont préféré souligner l’aspect contractuel et institutionnel du mariage », explique Laurence Mauger-Vielpeau, professeure de droit privé à l’université de Caen-Normandie et avocate.
Selon l’article 212 du code civil, « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance », tandis que l’article 215 ajoute qu’ils « s’obligent mutuellement à une communauté de vie ». Les juges, et la société d’ailleurs, en ont toujours conclu que la communauté de vie était synonyme de communauté de lit.
« Il est logique d’attendre des rapports sexuels dans le mariage, d’autant plus qu’il y a l’engagement de fidélité », note l’universitaire. Elle relate le cas d’un homme condamné à verser des dommages et intérêts à sa femme qu’il n’avait pas touchée au bout de cinq ans de mariage. Les juges y ont vu une « indifférence injurieuse ». Pour autant, Mme Mauger-Vielpeau estime « dangereux de prononcer un divorce pour faute sur la base d’un manque de relations sexuelles. Où met-on le curseur ? Est-ce zéro rapport sexuel ? Pendant quelle durée ? »
Autrement formulée, la question est : le droit au rapport sexuel devient-il une obligation ? Selon une étude de Julie Mattiussi, maîtresse de conférences de droit privé à l’université de Haute-Alsace, sur 86 décisions de justice dans lesquelles cette faute était invoquée, la violation du devoir conjugal n’a été retenue que dans onze cas. Et encore, note-t-elle dans l’article « Le devoir conjugal : de l’obligation de consentir », à paraître en août dans un ouvrage collectif (Envers et revers du consentement, dans la collection de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, éditions Mare et Martin), « aucune ne prononce le divorce au seul motif du manquement au devoir conjugal ». La décision de la cour de Versailles serait donc une exception.
« Consentir avec répugnance »
Mme Mattiussi s’étonne néanmoins que, dans les décisions auxquelles elle a eu accès, « l’existence du devoir conjugal n’est jamais remise en cause, ni par la défense ni par les magistrats dans leurs réponses à ces demandes ». Cette conception paraît bien ancrée dans les mentalités.
« Je suis choquée dans mon expérience d’avocate, relate Mme Mauger-Vielpeau, de voir beaucoup de femmes dire qu’elles se sentent obligées. J’ai beau leur dire qu’elles ne peuvent pas être contraintes, elles restent accrochées à cette notion du devoir conjugal. »
Maintenir le devoir conjugal dans le droit positif après avoir inscrit le viol conjugal dans le code pénal relève-t-il d’une schizophrénie judiciaire ? Pour l’avocate Carine Denoit-Benteux, spécialiste du droit de la famille, les deux choses ne sont pas sur le même plan. Elle dénonce même un « amalgame qui dessert le sujet du consentement qui, lui, ne doit pas faire débat. L’absence de relations sexuelles d’un couple n’est pas comparable. »
Les choses ne sont pas si simples, estime pour sa part Mme Mattiussi. « Le devoir conjugal met les époux en position de consentir aux relations sexuelles pour remplir leurs obligations juridiques et échapper à la menace d’un divorce pour faute », dit-elle. C’est « consentir avec répugnance pour faire plaisir à l’autre », dit-elle.
La Cour de cassation a tranché le 17 septembre 2020 le cas de ce couple passé devant la cour d’appel de Versailles par un « arrêt de rejet », c’est-à-dire sans audience ni motivation. La chambre civile « ne contrôle plus les fautes, elle estime que cela relève de l’appréciation du juge du fond », explique Mme Mauger-Vielpeau.
Changer la loi
Pour un revirement de jurisprudence, il faudrait donc compter sur les juges aux affaires familiales et sur les juges d’appel. A moins que la CEDH juge recevable le recours de cette femme. Son avocate se rapporte aussi à l’article 8 de la Convention, selon lequel toute ingérence d’une autorité publique dans le droit à la vie privée doit être prévue par la loi et répondre à une nécessité « dans une société démocratique ». Or, l’injonction à avoir des relations sexuelles n’est pas inscrite dans la loi.
Dernière possibilité, changer la loi. Mais toucher au droit du mariage est un épouvantail pour le législateur. Au sein de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, les députés ne se sont pas précipités pour répondre à nos sollicitations. Erwan Balanant (MoDem, Finistère) voit « une contradiction entre cette obligation conjugale et le viol conjugal ». Selon lui, « il n’y a rien de choquant à ce que des personnes n’aient plus de relations sexuelles, mais le qualifier de faute est problématique ».
« Il ne faut pas se tromper quand on touche au mariage », souligne le député du Finistère, qui promet d’étudier la question. « Car, derrière, risque de se poser la question de la procréation et de la filiation », remarque-t-il. De fait, la présomption de relations sexuelles régulières entre époux fait qu’à chaque enfant né, la paternité du mari n’est pas questionnée. Modifier la loi risquerait de toucher à ce délicat équilibre.
Source: Internet

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