PÉTITION DE RECALL ‘MORISPOUTOUDIMOUN’ : DÉFIER LA LOI POUR REVENDIQUER SES DROITS ?

by | Sep 6, 2020 | Opinion, Politique

La pétition ‘MorisPouTouDimoun’ qui circule suite à la marche du 29 août 2020 est une demande de “recall” contre la personne du Premier Ministre, adressée au Président de la République mauricienne. Elle exige la démission de Pravind Kumar Jugnauth de son poste de Premier Ministre au motif que les droits constitutionnels des citoyens mauriciens à la vie, à la liberté, à la sécurité et à la protection de la loi auraient été bafoués par la catastrophe du Wakashio et sa mauvaise gestion gouvernementale.
Mais les pétitionnaires savent-ils bien à quoi ils s’engagent en signant cette pétition ? Car, comme nous allons le voir, la pétition ‘MorisPouTouDimoun’ comporterait plusieurs infractions pénales et pousserait ainsi les signataires à défier la loi.
Perversion du principe de démocratie directe
Le ‘recall’ est un mécanisme qui relève de la démocratie directe et qui est prévu dans certains systèmes électoraux notamment aux Etats-Unis. En vertu de ce procédé, un responsable élu peut être démis de sa charge en cours de mandat par une pétition citoyenne. L’objectif est donc d’améliorer le principe de ‘check and balance’ démocratique en introduisant de nouveaux mécanismes par lesquels les citoyens peuvent disposer de plus de contrôle sur les agissements de leurs élus.
La pétition de ‘recall’ MorisPouTouDimoun est une grande première dans la vie politique mauricienne, car une telle procédure n’existe pas dans la Constitution. Elle représente donc une innovation démocratique dans le paysage politique mauricien, inspirée d’exemples à l’étranger. Pourtant, telle qu’elle est formulée, elle constitue un détournement du principe de démocratie directe, pour en faire un outil de dictature indirecte.
Tribunal populaire
Dans le cas de cette pétition lancée samedi dernier, il s’agit d’exiger un ‘recall’ du Premier Ministre au motif qu’il se serait rendu coupable d’une violation des droits constitutionnels des citoyens. Le texte de la pétition s’appuie sur la section 28 de la Constitution pour demander au Président Pradeep Roopun, en vertu de son rôle de gardien de la Constitution : (1) de dissoudre le Parlement (2) de demander la démission du Premier ministre et (3) de convoquer de nouvelles élections.
Or, c’est le Judiciaire, et lui seul, qui est habilité à se prononcer sur une violation des droits constitutionnels. En demandant le renvoi du Premier Ministre sur un chef d’accusation non traduit en justice, les pétitionnaires agissent comme un tribunal populaire qui viendrait se substituer aux cours de justice de la République.
Pressions sur le Président de la République
Les pétitionnaires se plaignent que leur droit constitutionnel à bénéficier de la protection de la loi a été bafoué. Dans leur logique, cela justifierait qu’ils bafouent à leur tour les droits constitutionnels de leur Premier Ministre en lui déniant la présomption d’innocence et le droit à être jugé par une cour de justice républicaine.
De plus, en faisant pression sur le Président de la République Pradeep Roopun pour l’obliger à ‘recall’ le Premier Ministre, les pétitionnaires enfreignent la section 50 du code pénal, en vertu de laquelle nul n’a le droit d’exercer une pression sur le Président de la République… Une offense qui est passible de servitude pénale à vie.
Le Parlement visé
En signant cette pétition de ‘recall’, les citoyens sont donc incités à commettre un acte qui les mettrait en infraction à la loi et pourrait les exposer à des poursuites judiciaires. En effet, la démarche de cette pétition pourrait relever de la sédition, au titre de l’article 283 du code pénal. La sédition est le fait d’inciter à la haine contre une section de la population ou contre les autorités, et d’encourager la population à se soulever contre les institutions de l’État que sont l’exécutif et le judiciaire.
De plus, les pétitionnaires s’attaquent également au législatif, en demandant la dissolution du Parlement. La pétition va donc bien au-delà du concept de ‘recall’ qui s’applique à des titulaires individuels de charges d’État pour des responsabilités individuelles. En revendiquant par la pression la révocation du Parlement, les pétitionnaires font porter à tous les parlementaires indistinctement les conséquences d’une faute imputée aux membres du Gouvernement. Une posture qui s’apparente au coup d’État, ni plus ni moins.
Infractions à la loi
Peut-être sans le savoir, les personnes qui font circuler ce texte de pétition sont également en train de s’exposer elles-mêmes dangereusement à des poursuites pénales. Car selon la section 59 du code pénal “Exposing citizen to reprisal”, quiconque expose les citoyens à des représailles de l’Etat est passible de prison.
En résumé, cette pétition de ‘recall’ constitue une violation des principes fondamentaux de la Démocratie et une infraction aux lois de la République :
• en se substituant aux institutions républicaines pour agir comme un tribunal populaire
• en faisant pression sur le Président de la République (section 50 du code pénal)
• en court-circuitant le judiciaire
• en incitant à la haine contre le Premier ministre et le gouvernement (section 283 du code pénal)
• en exposant les citoyens à des représailles (section 59 du code pénal)
Perversion du concept de désobéissance civile
Des voix se sont élevées pour légitimer la pétition de ‘recall’ au nom de la désobéissance civile. Ce concept de désobéissance civile, forgé par l’anarchiste Henry Thaureau en 1849 et repris par Martin Luther King ou Gandhi, consiste à refuser d’obéir à une loi républicaine que l’on trouve injuste et illégitime. Cette résistance à l’application de la loi injuste est motivée d’un point de vue philosophique par le droit légitime à la révolte contre les injustices. Elle a pour objectif de chercher à infléchir la position des autorités pour amener des changements institutionnels ou légaux dans un sens de plus de justice et de démocratie.
Mais dans le cas de la pétition MorisPouTouDimoun, il ne s’agit pas de défier des lois injustes pour amener plus de démocratie, il s’agit en fait de contourner les lois républicaines pour tenter d’imposer une action anti-démocratique dans ses fondements comme dans ses procédés.
Peut-être sans même s’en rendre compte, les pétitionnaires se retrouvent ainsi à détourner un mécanisme démocratique à des fins anti-démocratiques, incitant dans la foulée les citoyens signataires à renier leur idéal de justice.
Dr Catherine Boudet,
analyste politique*
03.09.2020
NDLR : Analyste politique et écrivain, Catherine Boudet est née à La Réunion et réside à l’île Maurice. Docteur en Science Politique, elle est spécialiste des dynamiques politiques à l’île Maurice. Auteur d’articles scientifiques et d’ouvrages sur la démocratie mauricienne, elle a également publié une dizaine de recueils de poésie dont deux ont été primés.

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