Le chanteur Christophe est mort, emporté à 74 ans par le conronavirus

by | Apr 24, 2020 | Monde, Santé

DISPARITION – Le chanteur d’Aline et des Mots bleus est décédé jeudi soir à Brest. On retiendra la délicatesse qui se dégageait de ses compositions, de sublimes petites symphonies conçues avec un soin perfectionniste.

Christophe, de son vrai nom Daniel Bevilacqua, est mort à l’âge de 74 ans du coronavirus. Hospitalisé le 26 mars à Paris pour insuffisances respiratoires, puis transporté en Bretagne pour poursuivre ses traitements, le chanteur Christophe, 74 ans, est décédé jeudi 16 avril dans la soirée, a annoncé L’Obs. Le passionné de rock et ami du chanteur Pierre Lescure a confirmé la nouvelle dans la soirée sur Twitter. «Christophe est parti . Il s’est éteint en début de soirée à l’hôpital de Brest. Lucie, sa fille était près de lui. On pense à lui, à elle, à ses tous proches. On se connaissait depuis 1965. Une vie. Mais toutes et tous, nous avons des paroles et des refrains de lui. Sa voix unique», a expliqué le patron du Festival de Cannes.

Christophe est parti. Il s’est éteint en début de soirée à l’hôpital de Brest. Lucie , sa fille était près de lui. On pense à lui, à elle, à ses tous proches. On se connaissait depuis 1965. Une vie. Mais toutes et tous, nous avons des paroles et des refrains de lui. Sa voix unique.

Une silhouette longiligne, une voix fragile et ce visage buriné avec la moustache et la chevelure inchangées : jusqu’au bout, Christophe aura cultivé cette allure de dandy intemporel si singulière dans le paysage de la chanson française. Un look de «latin lover» recherché qui cachait l’arrangeur perfectionniste et le compositeur délicat à l’origine de nombreux tubes.

Christophe : Des mots bleus aux Paradis perdus, l’histoire de ses plus grands tubes

Cela faisait quelques années que Christophe se produisait dans un contexte dépouillé et intimiste sur les scènes de France. En 2019, il avait accepté une commande de sa maison de disques : enregistrer un album de duos. De ce sempiternel exercice compassé et souvent stérile, il avait trouvé la matière de réinventer plusieurs grands titres de son répertoire. S’il avait sacrifié à la tâche, c’était davantage pour mettre en avant le travail des gens qu’il admirait plutôt que pour additionner les grands noms prestigieux. « Ce n’est pas un album show-biz », nous avait-il dit fièrement au sujet de ce disque, intitulé Christophe etc. et décliné en deux volumes. « Je suis inspiré par les autres. C’est une question de passion », expliquait-il. Jusqu’à la fin de sa vie, cet homme singulier et si attachant aura poursuivi sa quête sonore avec frénésie et passion.

C’est derrière sa console avec vue sur le boulevard du Montparnasse que Christophe recevait. Dans le studio personnel où il avait posé les bases de ses derniers albums, dans un dédale de machines et d’instruments de musique qui racontaient sa soif permanente d’invention. « Ce que je fais tous les jours quand je me lève, c’est aller dans les matières sonores. À un moment, je vais au bout d’une expérience, comme un peintre sonore. J’évolue avec de nouvelles machines, c’est tellement illimité ! » Cet autodidacte se définissait volontiers comme un fétichiste. Il se reconnaissait des qualités de mélodiste tout en avouant être devenu chanteur grâce à la technologie. « Ma voix, je la passe dans des boîtes », disait-il. « Je n’aurais jamais été chanteur si je n’avais pas trafiqué ma voix. Ça a d’ailleurs commencé avec Aline. »

C’est grâce à ce tube de l’été 1965 que le jeune Daniel Bevilacqua, né à Juvisy-sur-Orge (Essonne) vingt ans auparavant, était devenu célèbre. Descendants d’immigrés italiens venus du Frioul à la fin du XIXe siècle, il est le fils d’un chauffagiste et d’une couturière. Le jeune homme est très tôt fasciné par la musique et la culture américaine. Le blues des pionniers John Lee Hooker et Robert Johnson le séduit, puis la première vague du rock’n’roll avec les productions du label Sun, Elvis Presley et les autres. Après s’être mis à la guitare et à l’harmonica, il forme le groupe Danny Baby et les Hooligans dans lequel il chante en « yaourt ». C’était quelques années avant l’invention du yaourt à boire. À partir des années 1980, Christophe préférera employer l’expression « chanter en Yop »…

Après un premier single sans succès en 1963, le jeune homme décroche le tube de l’été 1965 avec Aline, un blues dédié à une de ses tendres amies. Le succès le propulse parmi les jeunes gens à la mode. Il figure même sur la photo de «Salut les copains», qui réunit le ban et l’arrière-ban de la scène yé-yé sous l’objectif de Jean-Marie Périer et le patronage de Johnny. Il faudra quelques années supplémentaires pour constater que Christophe est à des années-lumière de ces chanteurs-là. Il enchaîne les 45 tours avec régularité, sur les labels AZ et Barclay jusqu’en 1968. Seul Les Marionnettes connaît un succès important.

Christophe, l’émoi bleu

En 1970, Christophe compose la musique du film La Route de Salina, réalisé par Georges Lautner, long-métrage devenu culte. Ce passionné de course automobile, qui a dépensé ses royalties en bolides, effectue un premier virage artistique, en rejoignant l’écurie du producteur Francis Dreyfus. C’est sur la marque des Disques Motors qu’il effectuera la majorité de sa carrière. Il devient alors proche d’Alain Bashung, jeune chanteur que Dreyfus a également pris sous son aile. Ce dernier a alors l’idée de faire collaborer un autre de ses poulains, Jean-Michel Jarre. En 1973, Christophe sort un disque qui le place au niveau des productions anglo-saxonnes qu’il admire tant : Les Paradis perdus. Enregistré dans le nouveau complexe des studios Ferber, dans le 20e arrondissement, par le génial ingénieur du son René Ameline, l’album présente Christophe, qui porte désormais une fine moustache et les cheveux mi-longs, comme un avant-gardiste passionné par les machines. En l’occurrence, le synthé analogique ARP Odyssey, qui confère un son unique à ce premier chef-d’œuvre. L’année suivante, la même équipe produit l’album Les Mots bleus, dont la chanson titre devient un énorme succès radiophonique, tout comme Señorita, un autre extrait de l’album. La même année, le chanteur donne une série de concerts à l’Olympia, dans une mise en scène délirante de l’illusionniste Dominique Webb, qui recycle pour l’occasion la figure de la lévitation du « Piano volant ». Les arrangements, très élaborés, mettent en avant le travail de virtuoses comme Patrice Tison (guitare), évoquent le mouvement progressif du rock anglais, alors très à la mode. Ce spectacle est aussi le dernier que donne Christophe avant son retour à l’Olympia en 2002, près de trente ans plus tard.

La deuxième moitié de la décennie 1970 voit Christophe collaborer avec de nouveaux paroliers. C’est ainsi à Boris Bergman – futur complice de Bashung – que l’on doit les textes de Samouraï, en 1976, notamment celui de Merci John d’être venu, dans laquelle le narrateur raconte comment les Beatles ont assisté à son mariage. Deux ans plus tard, le très rock Le Beau Bizarre est signé avec Bob Decout. Chouchou de la critique, le disque ne connaît pas un grand succès public. Pas vu, pas pris, en 1980, marque sa collaboration avec le chanteur Alain Kan, frère de l’épouse de Christophe, Véronique, qui lui a donné une fille, Lucie, en 1971.

Dans les années 1980, Christophe ralentit considérablement sa production. Il délaisse les albums au profit de singles, dont la plupart connaîtront une bonne fortune. Succès fou, J’lai pas touchée ou Ne raccroche pas amplifient jusqu’à la caricature, parfois, son image de grand séducteur. Quant à l’album, Clichés d’amour, une collection de standards de la période 1940-1950 traduits par le rédacteur en chef de Rock & Folk, Philippe Paringaux, il n’apporte pas grand-chose. En 1988, Chiqué, chiqué, un 45 tours audacieux, ne rencontre pas le grand public. Retiré de la scène, Christophe se consacre pleinement à ses passions : les juke-box, qu’il collectionne, les 78 tours de blues, et le cinéma. Il dispose à son domicile d’une salle de projection privée dans laquelle il invite ses amis à visionner des films rares. Il est l’un des premiers en France à se passionner pour le travail du réalisateur américain David Lynch. À une époque, Christophe transportait avec lui plusieurs DVD du cinéaste dans un sac à dos.

Après huit années de silence discographique complet, le chanteur opère un retour grandiose en pleine vague trip-hop, en 1996, avec son disque le plus personnel. « L’album qui restera le disque de ma vie, c’est Bevilacqua. J’ai tout fait dessus. J’ai tout écrit – même si j’ai cosigné les textes », expliquait-il fièrement. À 50 ans, Christophe est au sommet de son art avec cette œuvre unique, qui rompt radicalement avec sa production classique. Le disque, qui s’ouvre sur une auto-interview sur boucles électro, contient un hommage à Enzo Ferrari et un puissant duo avec Alan Vega, du duo new-yorkais Suicide, un de ses modèles. L’insuccès est cuisant, mais qu’importe : Christophe est reparti sur de bons rails. Les albums suivants reprendront peu ou prou la formule, en la rendant plus accessible. Comm’si la terre penchait, qui marque son arrivée chez Universal Music en 2001, contient des chansons un peu plus accessibles. Surtout, le bon accueil réservé à l’album lui permet de remonter sur scène. Le 11 mars 2002, le revoici sur la scène de l’Olympia, dans une scénographie ambitieuse signée par les plasticiens Ange Leccia et Dominique Gonzalez-Foerster, contenant une chorégraphie de Marie-Claude Pietragalla. Paris est aux pieds du chanteur, qui acquiert un statut nouveau et devient culte. Un sacré pied de nez à ceux qui l’avaient enterré un peu vite. Christophe se livre énormément à la presse, dans des entretiens fleuves qui entretiennent sa légende d’oiseau de nuit et de séducteur impénitent.

Aimer ce que nous sommes (2008), qui lui prendra quatre ans de travail et coûtera 700 000 € à son label, est certainement le plus fou de tous ses disques. Il s’agit sans doute de la dernière superproduction française d’une industrie qui s’enfonce dans la crise du disque. Isabelle Adjani et Daniel Filipacchi prêtent leur voix, et le batteur américain Carmine Appice côtoie des musiciens andalous. La même année, Christophe joue les Roi-Soleil dans un magnifique concert au château de Versailles.

En 2013, pour accompagner la sortie d’inédits de la période Motors, Christophe entame sa première tournée en solitaire. « J’ai commencé à savoir ce qu’était le clavier quand j’ai joué au Théâtre Marigny. C’était gonflé. Le piano a changé ma vie », nous expliquait-il. L’amateurisme de son jeu n’entame alors rien à l’intensité de ces moments dans lesquels il revisite un répertoire qui pioche dans toutes les périodes de sa carrière. Sur scène, il a transposé le capharnaüm de son appartement de la rive gauche : piano à queue, synthés, guitares. Il dévoile notamment sa chaise à son, un siège de son invention, équipé d’un micro lui permettant de se déplacer, à sa guise, derrière le piano. Touchant et drôle à la fois.

Entre deux dates de concert, l’homme avance le chantier d’un album qui lui donnera beaucoup de fil à retordre, Les Vestiges du chaos, son plus beau depuis Bevilacqua. Il y retrouve la plume de Jean-Michel Jarre sur une chanson, et rend hommage à deux héros disparus : Lou Reed et Alan Vega. L’album, aux allures de bilan, synthétise à merveille les explorations de ce bourreau de travail, qui n’a jamais cessé de se remettre en question, contrairement à bien d’autres chanteurs de sa génération. S’il considérait que 50 ans avait été le meilleur âge de sa vie, Christophe a vécu sa vie comme il l’entendait jusqu’au bout. Sur un voilier pendant les mois d’été, à Tanger lorsqu’il souhaitait s’évader mais la plupart du temps dans son studio du boulevard du Montparnasse. Sans oublier la présence permanente des femmes, repère immuable. « Ma chance a été d’aimer les femmes et de placer l’art au même niveau que l’amour. Quand une histoire d’amour ne marchait pas pour moi, j’avais l’art pour me soutenir », nous confiait en 2019 celui qui était resté un grand séducteur.

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